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Assemblée législative du Nouveau-Brunswick

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Notes pour une comparution devant le Comité permanent de modification des lois

Le 7 novembre 1996
Fredericton, New Brunswick

Bruce Phillips
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)


Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de cette occasion qui m'est donnée d'aborder avec vous ce qui est en train de devenir l'une des préoccupations les plus pressantes de notre société et de notre économie de l'information.

Je suis convaincu que vous avez vos propres questions et préoccupations sur lesquelles vous voudriez concentrer vos efforts, et je n'ai pas l'intention de prendre trop de votre temps. Quoi qu'il en soit, j'ai pensé qu'il serait utile que je vous présente une vision plutôt personnelle du mandat et des opérations d'un commissaire fédéral à la protection de la vie privée. Une description plus neutre figure dans la loi et dans un aperçu de nos opérations, et je crois comprendre que ces documents vous ont déjà été remis. J'aimerais également aborder les questions plus vastes qui revêtent désormais une aussi grande importance dans notre travail.

Je parlerai essentiellement de certains aspects de notre expérience dans l'application de la Loi et l'exécution de notre mandat. J'espère pouvoir vous convaincre qu'un commissaire à la protection de la vie privée, quel que soit le modèle que vous choisissiez, s'acquitte d'une fonction essentielle dans une société de l'information.

D'abord, et surtout, vous devez commencer par l'adoption d'une loi solide. Les premières dispositions visant à protéger la vie privée des Canadiens figuraient à la partie IV de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette protection juridique limitée a ensuite été subsumée dans la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 1983. En gros, cette loi représentait un effort louable pour une loi de deuxième génération, mais elle montre des signes de vieillissement. En fait, le gouvernement fédéral a commencé l'examen de la loi en vigueur afin d'en faire un outil plus efficace pour l'économie de l'information et de renforcer la valeur sociale qu'elle est censée protéger.

La Loi énonce un code de pratiques équitables en matière d'information qui régit la collecte, l'utilisation, la communication et l'élimination par le gouvernement des renseignements personnels dont celui-ci a besoin pour administrer ses programmes.

La Loi confère aux particuliers le droit de consulter leurs dossiers personnels. Elle limite et précise les exceptions et permet aux demandeurs de demander la correction d'erreurs ou l'annotation de documents. Elle rend également les chefs des institutions gouvernementales responsables de l'application de la Loi dans leur organisation.

Maintenant, avec 13 ans d'expérience, je crois que le Commissariat peut se permettre un commentaire de type éditorial.

L'un des éléments les plus importants d'une loi solide est la façon dont celle-ci définit ce concept essentiel que sont les renseignements. Tout texte de loi dont la définition de renseignements n'est pas assez souple pour tout inclure, des notes d'un médecin au sujet d'un ancien combattant de la Deuxième Guerre mondiale, au courrier électronique du petit-fils de celui-ci en passant par un échantillon génétique, ne remplira pas son rôle. Il suscitera la frustration des plaignants et des protecteurs de données et risque d'être inutile.

Il convient de féliciter les rédacteurs de loi canadiens. La Loi fédérale prévoit, dans la définition des renseignements personnels, la formulation quels que soient leur forme et leur support et nous permettra donc de ne pas nous laisser distancer par les découvertes les plus vertigineuses des scientifiques et des ingénieurs, à peut-être une exception près : les échantillons de tissu humain et de liquide organique. Bien que nous soyons portés à soutenir qu'un échantillon de sang ou d'urine contient des renseignements personnels, j'ai recommandé que le Parlement élargisse la définition de renseignements personnels de manière à inclure les échantillons organiques.

Nous aurions une autre recommandation : les exceptions relatives au droit d'accès d'une personne aux renseignements la concernant doivent être limitées et spécifiques. Cela est essentiel. Les dispositions législatives sur la protection de la vie privée reposent sur le principe, énoncé clairement par le juge La Forest de la Cour suprême, voulant que l'information concernant les particuliers, fondamentalement, appartient à ceux-ci. Les pouvoirs publics n'en sont que les dépositaires et ils détiennent les renseignements personnels en fiducie. Comme l'a déjà dit Inger Hansen, ancienne commissaire à l'information et à la protection de la vie privée : « l'embarras n'est pas une exception ».

Un autre élément essentiel de ces lois est le fait qu'elles définissent les rôles et les pouvoirs et établissent l'indépendance des préposés à l'instruction des plaintes. Selon notre expérience, il est évident que la fonction doit être indépendante du processus gouvernemental au sujet duquel elle est censée enquêter. Elle doit aussi avoir le pouvoir voulu pour mener des enquêtes dignes de ce nom. Et elle devrait avoir les ressources nécessaires pour ce faire.

Moi-même et la plupart de mes homologues provinciaux sommes des agents de nos organes législatifs respectifs et sommes nommés par les législateurs qui examinent nos opérations courantes et dont nous relevons.

Les commissaires ont des pouvoirs étendus d'entrer dans des locaux, de convoquer des témoins, de faire prêter serment et d'ordonner le dépôt de documents. (En fait, l'agent fédéral est investi du pouvoir d'une cour supérieure d'archives.) Nous pouvons porter plainte et lancer des enquêtes relatives au respect de la Loi sans qu'il n'y ait eu plainte.

C'est ici que les modèles fédéral et provinciaux en vigueur diffèrent. Les modèles de l'Ontario, du Québec, de la Colombie-Britannique et de l'Alberta font du commissaire un tribunal quasi-judiciaire investi du pouvoir, à l'issue des enquêtes, de rendre des ordonnances.

Ces provinces ont une loi qui traite et de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels; un commissariat; et un commissaire. Les enquêteurs commencent par réunir les éléments de preuve et tentent de règler le litige sans formalités. S'ils échouent, toutefois, le processus devient plus structuré et se solde par l'émission d'une ordonnance par le commissaire.

À l'échelon fédéral, il y a deux lois : la Loi sur l'accès à l'information et la Loi sur la protection des renseignements personnels. Chaque loi a son commissaire indépendant chargé de faire enquête à l'égard des plaintes bien que, pour des raisons d'efficience administrative, les deux commissaires partagent des locaux et des services de soutien administratif. Chaque commissaire a ses propres avocats et ses propres enquêteurs.

Les pouvoirs du commissaire fédéral à la protection de la vie privée sont doubles : le commissaire mène enquête à l'égard de toutes les plaintes, que celles-ci aient trait à l'accès d'un particulier aux renseignements personnels le concernant ou la collecte, l'utilisation ou la communication de renseignements personnels par le gouvernement d'une manière qui contrevient à la Loi. Il peut aussi mener des enquêtes de type « vérification » sur le respect général de la Loi sur la protection des renseignements personnels ou examiner une question à l'échelle fédérale.

La Loi confère également au commissaire un rôle de surveillance. Les institutions gouvernementales doivent en effet informer celui-ci de tout nouvel usage compatible des dossiers personnels dont le public n'a pas été mis au courant. Et elles doivent l'informer de toute communication de renseignements personnels concernant une personne qui est faite pour des raisons d'intérêt public, ce qui lui permet d'aviser l'intéressé(e) si nécessaire. (Je me dois de souligner que le commissaire ne peut pas empêcher la communication.)

Enfin, le gouvernement a pour politique de prévenir le commissaire à la protection de la vie privée des liens qui sont proposés entre des bases de données électroniques, ce qui permet au Commissariat d'évaluer le jumelage et de se faire le défenseur des personnes qui seront touchées. Et les institutions sont censées consulter le commissaire au sujet des nouvelles lois qui sont susceptibles d'avoir une incidence sur la vie privée.

L'aspect le plus significatif du modèle fédéral est toutefois la formule de l'ombudsman. Bien qu'on nous reproche parfois de n'avoir guère de pouvoirs, le fait d'être un ombudsman comporte plusieurs avantages indéniables.

Cela, par exemple, évite de cantonner le Commissariat et les institutions gouvernementales dans des rôles antagonistes, car l'enquête vise à déterminer s'il y a bien un problème et, le cas échéant, à régler celui-ci.

Ne vous méprenez pas. Il s'agit de véritables enquêtes. Nous interrogeons toutes les parties, réunissons les documents pertinents et entendons les représentations de ceux et celles qui veulent se faire entendre. Cependant, la souplesse qu'offre la formule de l'ombudsman permet aux enquêteurs et aux avocats d'examiner les documents, de discuter de leurs différences d'opinion, d'offrir des conseils et de harceler, de relancer et de pousser des fonctionnaires récalcitrants afin qu'ils adoptent notre point de vue. Ainsi, le Commissariat devient une sorte de centre d'information sur la vie privée où les fonctionnaires peuvent téléphoner sans craindre de compromettre leur situation dans un processus structuré. Donc, le deuxième avantage de la formule tient au fait que l'enquête menée à l'égard d'une plainte sert souvent des fins éducatives.

Un processus moins rigide a l'avantage supplémentaire de ne pas intimider les personnes qui viennent demander notre aide. Les plaignants qui croient avoir été manipulés par la bureaucratie, à tort ou à raison, n'ont pas besoin et pas envie de se heurter à une autre.

Nous n'avons pas toujours gain de cause. Parfois, ni les institutions gouvernementales, ni les plaignants sont complètement satisfaits de l'issue, ce qui est probablement une bonne indication que nous nous en tirons assez bien.

Le commissaire détient également l'arme ultime dans les cas où il estime que quelqu'un s'est vu refuser l'accès aux renseignements personnels le concernant à mauvais escient et ne peut en obtenir la communication : il peut demander à la Cour fédérale de réviser la décision du gouvernement.

Donc, quel modèle fonctionne le mieux, d'après moi – Personnellement, je crois que les deux ont chacun leurs points forts et leurs points faibles. Le pouvoir d'ordonner le règlement d'une plainte de telle ou telle façon peut parfois avoir ses avantages, mais je crois que, au bout du compte, les deux modèles permettent d'arriver au même résultat.

Le fait que nous ayons reçu plus de 1 600 plaintes l'an dernier et que nous en attendions encore davantage cette année est un autre indice de l'utilité d'un service comme le nôtre. Certaines de ces plaintes peuvent n'avoir rien de révolutionnaire, mais chacune est importante aux yeux du plaignant. Les documents demandés peuvent en effet être la clef de l'obtention de prestations de pension supplémentaires, de l'avancement d'une procédure de grief ou de la contestation d'une déportation. Certaines plaintes font avancer notre compréhension et notre interprétation de la Loi. Et d'autres amènent des changements dans les politiques gouvernementales. Pas mal pour un investissement de 38 personnes et de 2,9 millions de dollars!

Quelle que soit la formule choisie, la fonction la plus importante dans un bureau comme le mien est peut-être celle de carrefour pour les questions concernant la vie privée. D'abord, le commissaire est le chien de garde du Parlement pour la vie privée. À une époque où les atteintes à votre vie privée sont aussi faciles d'accès que votre téléphone, votre carte d'assurance-maladie et votre ordinateur personnel, les législateurs et les membres du grand public se réjouissent d'avoir quelqu'un qui les mette en garde. Le commissaire à la protection de la vie privée est donc une vraie peste, comme l'a récemment laissé entendre le ministre fédéral de la Justice, Allan Rock.

Au cours de l'année écoulée, j'ai comparu plusieurs fois devant des comités parlementaires, par exemple pour recommander des protections strictes relatives aux données sur les consommateurs lorsque la loi régissant le secteur financier sera modifiée, en 1997; pour discuter du nouveau registre permanent des électeurs et des pouvoirs de surveillance que les nouvelles technologies confèrent au secteur privé, aux employeurs et à l'État.

Nous avons fait des commentaires sur le projet de loi du gouvernement en vue de la prise des empreintes génétiques des suspects. Et nous avons fait des commentaires sur l'idée de la création d'une base de données nationales d'empreintes génétiques et présenté plusieurs mémoires au CRTC sur la fonction d'identification de la ligne appelante et sur la vente de listes de clients à des éditeurs d'annuaires privés.

Les organisations comme la nôtre peuvent également faire office de centre d'information à l'extérieur de champs de compétence étroits. Ainsi, nous avons travaillé avec l'Association canadienne de marketing direct en vue de l'élaboration de son code relatif à la vie privée, lequel est désormais exécutoire pour ses membres, et dans le cadre du groupe de travail de l'Association canadienne de normalisation sur les pratiques idéales pour le secteur privé. Et nous faisons aussi partie de plusieurs groupes de travail gouvernementaux qui se penchent sur tous les sujets, allant des entrepôts de données à l'utilisation des cartes à puce.

Il est paradoxal que l'un des rôles que pourrait assumer avec le plus d'efficacité un ombudsman spécial est celui qui ne lui a pas été confié, soit l'éducation du public. Et pas de mandat veut dire pas de ressources. Manifestement, le Parlement n'avait jamais pensé que le public s'intéresserait autant aux questions concernant la vie privée. S'il est une chose que notre expérience nous a apprise et que toute assemblée législative devrait avoir en tête dans l'établissement d'une fonction de protecteur des données, c'est bien le fait que le public s'attend à ce que cet ombudsman soit une source d'information, et non pas le gouvernement, qu'il soupçonne (à tort ou à raison) d'avoir d'autres chats à fouetter. À mon avis, l'éducation du public est essentielle pour la défense des droits du public en matière d'information.

Vous avez devant vous une occasion exceptionnelle de créer une loi sur la protection des renseignements personnels qui sera au mieux de la connaissance actuelle et de protéger vos citoyens et vos citoyennes tout en vous appuyant sur la technologie. Ce n'est pas une mode, une question passagère. La vie privée est la valeur qui est au coeur de la liberté dans un État moderne. Elle est fondamentale à notre compréhension de l'autonomie et de la liberté personnelles. Elle incarne le droit d'exercer un contrôle sur ce que les autres savent à notre sujet.

Cette valeur est reconnue dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle a même fait une brève apparition dans les premières versions de notre charte. En dépit du fait qu'elle ait disparu de la version finale, la Cour suprême a indiqué clairement que la vie privée est la valeur première protégée par l'article 8 de la Charte, notre droit d'être protégé contre les saisies, les perquisitions et les fouilles abusives.

La Communauté européenne, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon (et même certains pays émergeant de l'ancien régime soviétique) protègent la vie privée dans un texte de loi et nomment des commissaires indépendants de la protection des données chargés de superviser le processus. De plus, à l'occasion de la récente conférence internationale des commissaires à la protection de la vie privée, qui s'est tenue à Ottawa, le ministre de la Justice Allan Rock s'est engagé, au nom de son gouvernement, à rattraper ces nations. Les ministres de la Justice et de l'Industrie oeuvreront de concert avec les provinces en vue de la promulgation de dispositions législatives sur la protection de la vie privée qui soient applicables au secteur privé d'ici l'an 2000.

Toutes les sociétés modernes ont des systèmes électroniques de traitement des données. Nul ne peut le contester. C'est toutefois la protection juridique qui accordée aux particuliers dont les renseignements personnels peuvent être réunis, extraits, manipulés et communiqués souvent - voire, comme diraient certains, généralement - à leur insu qui n'est pas aussi tranchée. La protection de la vie privée est la valeur sociale essentielle de l'âge de l'information.

S'il m'est permis de vous donner un conseil, le voici : osez. Si nous voulons que les particuliers et les pouvoirs publics tirent parti de la technologie, améliorent la prestation des services et réduisent les coûts, cela ne peut se faire au détriment d'une protection efficace des renseignements personnels. Vos citoyens et citoyennes vous en remercieront.

Je vous remercie.

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