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L’utilisation de renseignements administratifs à des fins de recensement

Commentaires lors d’une réunion du Conseil national de la statistique

Le 7 novembre 2013
Ottawa, Ontario

Allocution prononcée par Steven Morgan
Directeur général, Vérification et revue

(La version prononcée fait foi)


Introduction

Je vous remercie de m’avoir offert la possibilité de prendre la parole devant le Conseil national de la statistique pour discuter des considérations relatives à la protection de la vie privée qui sont liées à l’utilisation de renseignements administratifs à des fins statistiques — en particulier dans le cadre du recensement national.

La commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Jennifer Stoddart, est désolée de ne pouvoir être ici ce soir. Mme Stoddart a toujours pris le temps de rencontrer les groupes importants comme votre organisme, mais elle participe actuellement à une activité lui rendant hommage à l’approche de la fin de son mandat de dix ans comme commissaire à la protection de la vie privée du Canada.

Sur la scène internationale, notre pays se classe en tête de peloton à de très nombreux égards, en grande partie grâce à sa politique publique judicieuse. Or, l’élaboration d’une politique judicieuse requiert des renseignements fiables. Il est clair, en effet, que la collecte d’information et l’analyse statistique sont essentielles pour déterminer l’emplacement de nos écoles, le financement de nos programmes sociaux et médicaux et les besoins des différentes collectivités où nous vivons. Comme j’ai travaillé plus de dix ans dans le domaine de la vérification, je sais aussi pertinemment qu’il est impossible de gérer les éléments que l’on ne mesure pas.

Nos organismes ont entretenu des relations efficaces par le passé, entre autres dans le cadre de l’examen, par le Commissariat, des options pour le Recensement de 2016.

Nos deux organismes ont un rôle important à jouer pour servir l’intérêt public.

  • Statistique Canada met son expertise et ses ressources au service de la collecte, de l’analyse et de la gestion des renseignements nécessaires pour assurer l’efficacité des politiques et des programmes publics.
  • Le Commissariat est considéré comme le gardien du droit à la vie privée au Canada.

Nous espérons garder les voies de communication ouvertes entre nos organismes afin que Statistique Canada puisse démontrer qu’il a pris en compte les considérations relatives à la protection de la vie privée au moment de concevoir des processus complexes.

Je commencerai par décrire brièvement le mandat du Commissariat et la façon dont il s’en acquitte. Je parlerai ensuite de l’utilisation des renseignements administratifs.

Rôle du Commissariat à la protection de la vie privée

Le mandat du Commissariat consiste à surveiller la conformité aux lois canadiennes sur la protection de la vie privée qui s’appliquent aux secteurs public et privé. Notre mission consiste tout simplement à protéger et à promouvoir le droit des individus à la vie privée. Nous faisons enquête sur les plaintes, intentons des poursuites judiciaires devant un tribunal fédéral quand les dossiers ne sont pas résolus, effectuons des vérifications, formulons des conseils à l’intention des entreprises et des ministères, et faisons mieux connaître les questions liées à la protection de la vie privée.

La commissaire à la protection de la vie privée est un agent du Parlement. Elle rend compte de ces activités dans son rapport annuel ou dans des rapports spéciaux destinés au Parlement.

Sensibilisation accrue du public aux renseignements détenus par le gouvernement et aux autres renseignements personnels (mégadonnées)

Les affaires rapportées dans les médias — y compris les récentes révélations de Snowden — ont contribué à sensibiliser davantage la population à la collecte de renseignements personnels par l’État et à susciter des inquiétudes à cet égard.

Par ailleurs, l’avénement et le volume considérable des « mégadonnées » – qui sont des ensembles de renseignements en grande partie non définis et non structurés qui sont générés par les recherches dans Internet, les capteurs, les scanneurs, les journaux d’exploitation, les appareils mobiles, les signaux GPS, etc. – créent une foule de possibilités et de risques jusqu’ici inconnus, notamment des risques d’atteinte à la vie privée, pour les organisations qui les utilisent.

Comme l’a affirmé la commissaire Stoddart au Sommet 2002 de l’Association internationale des professionnels de la communication :

« La population canadienne accorde une grande importance aux renseignements personnels. Elle ne souhaite pas que ces renseignements soient diffusés ou échangés ou qu’ils circulent à l’insu des personnes et sans leur consentement. »

C’est pourquoi les Canadiens accordent de plus en plus d’importance à la protection de leurs renseignements personnels au fur et à mesure que le volume de ces renseignements augmente.

L’utilisation de renseignements administratifs à des fins de recensement

Nous sommes conscients du fait que les ressources de Statistique Canada demeurent très sollicitées. En outre, avec la disparition du questionnaire de recensement détaillé, le ministère doit trouver de nouvelles façons d’obtenir des renseignements fiables de façon efficace et économique.

Compte tenu du très grand nombre de sources de renseignements générées et facilement accessibles, il n’est pas étonnant que Statistique Canada envisage de les utiliser en supplément ou en complément de ses activités de recensement.

Dans son rapport de 2011, Don Royce recommande que le gouvernement envisage d’utiliser d’autres renseignements administratifs pour la vérification des données obtenues au moyen du recensement et le maintien du degré de qualité de ce dernier.

La plupart des Canadiennes et des Canadiens ignorent probablement que Statistique Canada utilise des renseignements administratifs à des fins de statistiques depuis la création du Bureau fédéral de la statistique en 1918.

En 2012-2013 seulement, Statistique Canada a utilisé plus de 500 fichiers administratifs à des fins statistiques très variées.

Nous savons que Statistique Canada a toujours pris soin de veiller à ce que ces initiatives ne portent pas atteinte à la vie privée des individus, mais la sensibilité actuelle du public en ce qui a trait à la collecte et à l’utilisation des renseignements personnels justifie que l’on accorde une attention accrue à l’utilisation des renseignements administratifs, en particulier lorsque des « mégadonnées » pourraient venir s’ajouter au lot.

Les citoyens sont de plus en plus conscients du fait que le volume colossal de renseignements générés, le perfectionnement des nouveaux mécanismes d’analyse de l’information et de la possibilité d’un « effet mosaïque » signifient que leurs préférences et leurs actes peuvent faire l’objet d’un suivi à diverses fins, et que cela pourrait donner lieu à une atteinte à leur vie privée.

Nécessité de mettre en place un cadre transparent et un processus prévisible

Un processus transparent et prévisible assurant un juste équilibre entre l’importance de la collecte et de la gestion des renseignements et le droit des citoyens à la vie privée constitue la principale arme contre ces suppositions et ces craintes.

Au palier fédéral, le Conseil du Trésor a publié une série de politiques et de documents d’orientation concernant la protection de la vie privée, les pratiques à cet égard, la préparation des ententes d’échange de renseignements personnels, etc. Pour sa part, Statistique Canada dispose de ses propres documents d’orientation comme la Directive sur le couplage d’enregistrements.

Pour le Commissariat, l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée constitue un précieux outil d’analyse. En termes simples, cet outil permet à une organisation d’évaluer les risques d’atteinte à la vie privée associés à des initiatives nécessitant l’utilisation de renseignements personnels.

L’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée consiste à déterminer, à décrire et à quantifier les risques d’atteinte à la sécurité des renseignements personnels ainsi qu’à proposer des solutions pour les éliminer ou les ramener à un niveau acceptable. En ce qui a trait à ces évaluations, le Commissariat a un rôle d’observation et de recommandation et non d’approbation ou d’application. C’est l’institution d’origine qui effectue l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée.

Au moment d’examiner ces évaluations, nous vérifions si l’institution a répondu aux quatre questions suivantes :

  1. Est-il démontré que la mesure est nécessaire pour répondre à un besoin précis?
  2. >
  3. Répondra-t-elle vraisemblablement efficacement à ce besoin?
  4. La perte au chapitre de la vie privée est-elle proportionnelle à l’avantage obtenu?
  5. Existe-t-il un moyen moins envahissant d’arriver au même but?

Nous examinons aussi les mesures de sécurité et les contrôles en place, ainsi que la façon dont l’institution peut assurer l’exactitude.

Défis en matière de protection de la vie privée découlant de l’utilisation de renseignements administratifs au lieu des données obtenues lors du recensement

Maintenant que nous avons décrit les grandes lignes du processus d’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée, voyons les défis en matière de protection de la vie privée découlant de l’utilisation de renseignements administratifs plutôt que des données d’enquête obtenues lors du recensement.

La différence la plus évidente tient au fait que les données d’enquête sont transparentes et personnelles. Je sais quels renseignements je fournis et à quelles fins ils seront utilisés.

En revanche, les renseignements administratifs ne sont ni transparents ni personnels. Une ou plusieurs étapes ont été franchies après l’opération dans le cadre de laquelle ils ont été recueillis. Faudrait-il obtenir le consentement avant de faire une utilisation accrue des renseignements administratifs comme ce fut le cas en 2006 pour avoir accès aux données de l’impôt sur le revenu? Faudrait-il modifier la loi ou adopter de nouveaux règlements?

Que les renseignements portent sur l’établissement d’un immigrant, la santé, l’éducation ou l’emploi, il faudrait prévenir les intéressés de l’utilisation supplémentaire ou nouvelle que l’on pourrait en faire.

En pareil cas, le niveau actuel de communication, d’éducation du public et de transparence ne serait peut-être pas suffisant. Des changements s’imposeraient sur ce front.

L’exactitude pose un autre défi — il faudrait s’assurer qu’un Pierre Tremblay de Québec n’est pas le Pierre Tremblay de Montréal ou de Moncton. Un certain type d’identifiant personnel serait nécessaire.

Il faudrait aussi prendre des dispositions pour préserver l’anonymat de cet identifiant afin d’empêcher les abus découlant du couplage ou du rapprochement des renseignements.

Je suis certaine que la plupart d’entre vous sont au courant du débat qui a actuellement cours au Canada concernant l’utilisation d’un identifiant personnel universel.

Le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et d’autres autorités de protection de la vie privée s’opposent depuis longtemps à l’utilisation du numéro d’assurance sociale ou d’un identifiant similaire à des fins plus vastes.

En 2003, Robert Marleau, alors commissaire à la protection de la vie privée par intérim, a comparu devant le Parlement pour présenter un rapport exhaustif faisant valoir les raisons pour lesquelles le Canada ne devrait pas adopter une carte d’identité nationale.

Dans son Rapport final sur les options du Recensement de 2016, Statistique Canada prend en compte les risques d’atteinte à la vie privée associés à l’utilisation d’un identifiant personnel. Nous en sommes ravis.

M. Marleau a reconnu que les promoteurs du projet de carte d’identité nationale prétendaient, depuis les attentats terroristes de septembre 2001, qu’une telle carte permettrait de lutter contre le terrorisme, de réduire le nombre de vols d’identité et qu’elle faciliterait les voyages aux États-Unis.

L’une des options proposées par M. Marleau pour faciliter les voyages aux États-Unis consistait à utiliser le passeport canadien existant — qui n’était pas nécessaire en 2003 pour entrer en territoire américain.

Et, en fait, c’est la solution qui a été retenue par la suite. Il a été déterminé que l’utilisation du passeport constituait « un moyen moins envahissant d’arriver au même but ». C’est la quatrième question de notre critère d’analyse en quatre points.

Je cite cet exemple simplement pour montrer que le Commissariat n’a pas l’intention de faire de l’obstruction. Notre but est plutôt d’encourager les institutions gouvernementales à faire preuve de souplesse et de créativité en proposant, au besoin, des programmes de remplacement pour protéger la vie privée. Et cette souplesse a été reconnue dans le rapport sur les options du Recensement de 2016, où Statistique Canada examine la collecte volontaire de données d’enquête lorsqu’il existe des indications majeures de fardeau ou d’atteinte à la vie privée.

* * *

En Colombie-Britannique, on a récemment créé la BC Services Card, que certains considèrent comme un prototype de carte d’identité canadienne. Or, cette carte soulève de nombreux problèmes sur les plans de la sécurité, de la protection de la vie privée et des libertés civiles.

En fait, la législation et la réglementation existantes étaient perçus comme des obstacles à la nouvelle carte proposée.

Le gouvernement de la Colombie-Britannique a dû modifier sa loi sur la protection des renseignements personnels pour permettre la numérisation, le regroupement et la collecte de renseignements personnels ainsi que leur échange entre des bases de données gouvernementales auparavant distinctes.

Les risques de fraude, d’atteintes à la sécurité interne — matérielles, techniques et humaines — et de « détournement d’usage » ne représentent que quelques‑unes des préoccupations liés à l’utilisation d’un identifiant personnel.

Et, pourtant, il faudrait adopter un certain type d’identifiant personnel pour entrer et valider les renseignements administratifs.

Une autre possibilité envisagée dans le rapport Royce est la création de registres centraux de la population où l’on stockerait de grandes quantités de renseignements sur tous les Canadiens à leur insu et sans leur consentement. Cette solution susciterait aussi plusieurs préoccupations en matière de protection de la vie privée, notamment en ce qui concerne la façon dont le registre pourrait être utilisé.

Position actuelle du Commissariat

Rappelons que le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada s’oppose à l’adoption d’un identifiant personnel universel obligatoire. D’ailleurs, ses homologues provinciaux abondent pratiquement tous dans le même sens.

À notre avis, toute utilisation de renseignements administratifs pour les besoins du recensement national devrait faire l’objet d’une évaluation rigoureuse des facteurs relatifs à la vie privée.

Nous nous opposons à la création de registres centraux de la population sans une évaluation préalable des facteurs relatifs à la vie privée.

Il faudrait selon nous prévenir les citoyens en amont de toute utilisation de documents administratifs renfermant leurs renseignements personnels, et les tenir systématiquement au courant par la suite.

Il faudrait aussi s’assurer que le couplage ou le rapprochement de renseignements et toutes les autres pratiques et possibilités associées à l’utilisation de renseignements administratifs assujettis à la Loi sur la statistique sont conformes aux exigences de la Loi sur les renseignements personnels.

Défi pour Statistique Canada

Comme je l’ai dit plus tôt, le Commissariat a seulement un rôle d’observation et de recommandation.

Statistique Canada est déjà habilité, en vertu de l’article 13 de la Loi sur la statistique, à obtenir des renseignements auprès des pouvoirs publics et des entreprises.

Compte tenu du sentiment actuel des Canadiens à l’égard de la collecte et de l’utilisation des renseignements personnels par les gouvernements, il pourrait être utile de mieux expliquer les raisons à l’origine de la collecte de données et les avantages réels pour les Canadiens, et de leur donner une idée de la façon dont les renseignements seront utilisés et par qui. En faisant des recherches pour rédiger mon allocution d’aujourd’hui, j’ai été étonné par l’ampleur des renseignements administratifs déjà utilisés par Statistique Canada.

À mon avis, les Canadiens auraient intérêt à en savoir davantage sur l’utilisation des renseignements administratifs, y compris en ce qui concerne les répercussions et les avantages qui en découlent.

Le défi consistera à trouver une solution de rechange acceptable à l’utilisation d’un identifiant personnel qui permettra de dresser un portrait exact et représentatif du Canada.

Un dialogue public élargi ne permettrait pas seulement de renseigner la population, mais aussi de déterminer ce qui est acceptable pour le public d’un point de vue juridique, réglementaire et opérationnel.

Je ne saurais trop insister sur l’importance de l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée afin de déterminer et d’atténuer les risques en amont, et de donner une orientation pour la gestion et la communication de toute nouvelle initiative.

Cela dit, la protection de la vie privée ne devrait pas être considérée comme un obstacle en soi. Il s’agit plutôt d’une autre facette de l’intérêt public qu’il faut prendre en compte au moment de concevoir un programme. Et, une fois les critères de la protection de la vie privée pris en compte, on constate généralement que la population est plus favorable à une initiative donnée parce que sa confiance a été préservée.

Conclusion

L’information constitue un facteur de production essentiel dans le monde moderne.

Notre défi consiste à trouver des façons de convertir cette information — qu’ils s’agisse de renseignements administratifs ou de « mégadonnées » — en un bien public sans porter préjudice au droit et aux valeurs relatifs à la protection de la vie privée.

Comme je l’ai dit, il faut faire preuve de souplesse et de créativité lors de la mise au point de nouvelles méthodes.

Statistique Canada et le Commissariat ont déjà uni leurs efforts par le passé, notamment dans le dossier de la diffusion des documents historiques. Il y a lieu de poursuivre cette relation d’entraide.

Mais il faut aussi renseigner nos clients — les citoyens canadiens.

Si vous adoptez un processus ouvert et transparent, le public fera davantage confiance à votre capacité de relever les défis qui vous attendent.

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