Sélection de la langue

Recherche

Communiqué

Cette page Web a été archivée dans le Web

L’information dont il est indiqué qu’elle est archivée est fournie à des fins de référence, de recherche ou de tenue de documents. Elle n’est pas assujettie aux normes Web du gouvernement du Canada et elle n’a pas été modifiée ou mise à jour depuis son archivage. Pour obtenir cette information dans un autre format, veuillez communiquer avec nous.

Vancouver, le 7 février 2002 - Aujourd'hui, a Vancouver, le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, George Radwanski, a prononcé le discours suivant sur la surveillance vidéo et les droits à la vie privée lors d'une rencontre publique organisée par l'Association du Barreau canadien, Division de la Colombie-Britannique et la B.C. Civil Liberties Association.

Je suis ici pour vous parler de la question de vie privée qui m'apparaît de la plus urgente importance pour la société canadienne d'aujourd'hui : la surveillance vidéo des lieux publics.

Je suis ici parce que le Service de police de Vancouver veut installer 23 caméras de surveillance vidéo dans l'Eastside centre-ville, dans Strathcona, dans Gastown et dans Chinatown.

En tant que commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je n'ai pas compétence sur le Service de police de Vancouver. Mais en tant que mandataire du Parlement, chargé de la surveillance et de la défense des droits à la vie privée de tous les Canadiens et Canadiennes, j'ai non seulement le pouvoir mais encore le devoir, de faire des mises en garde lorsque quelque chose menace de détruire ces droits à la vie privée.

Ce que j'espère vous persuader aujourd'hui est l'incidence qu'auront les caméras de surveillance policière dans nos lieux publics.

Je veux persuader la population de Vancouver de bien penser deux fois, et avec le plus grand soin, à cette proposition de votre service de police - et de considérer que la solution, ce n'est pas de troquer un droit fondamental de la personne, comme le droit à la vie privée, pour une sécurité illusoire.

Les choix que vous faites aideront - très littéralement - à déterminer le genre de société et le degré de liberté de la société que nous aurons au Canada, non seulement pour nous-mêmes, mais encore pour nos enfants et nos petits-enfants.

Les caméras que vous envisagez d'installer ici à Vancouver - et celles qui suivront dans toutes les autres villes qui vous imiteront si vous allez de l'avant avec ce projet - sont le tranchant de la hache qui changera irrévocablement toute notre conception de nos droits et libertés.

Ce dont je parle, c'est de ce qu'a dit le juge La Forest de la Cour suprême du Canada dans un arrêt rendu en 1990 :

« Permettre la surveillance magnétoscopique illimitée par des agents de l'état, ce serait diminuer d'une manière importante le degré de vie privée auquel nous pouvons raisonnablement nous attendre dans une société libre [...] Nous devons toujours rester conscient du fait que les moyens modernes de surveillance électronique, s'ils ne sont pas contrôlés, sont susceptibles de supprimer toute vie privée. »

Après les événements tragiques du 11 septembre, j'ai déclaré publiquement que la vie privée n'est pas un droit absolu. Il peut certes y avoir des circonstances où il est légitime et nécessaire de sacrifier certains éléments de la vie privée aux intérêts de précautions indispensables pour la sécurité. Mais j'ai aussi dit que le fardeau de la preuve doit toujours incomber à ceux qui affirment que ce sacrifice est nécessaire.

J'ai recommandé que toute mesure par laquelle on se proposerait de limiter la vie privée ou d'y porter atteinte doit répondre à quatre critères très précis. En premier lieu, elle doit être manifestement nécessaire pour régler un problème précis.

En deuxième lieu, il doit être possible de démontrer qu'elle est probablement une solution efficace au problème. En troisième lieu, elle doit être proportionnelle à l'avantage recherché sur le plan de la sécurité. Autrement dit, on ne prend pas un marteau pour tuer une mouche. Et, enfin, il doit pouvoir être démontré qu'aucune mesure moins intrusive ne pourrait donner le même résultat.

J'estime que ces critères doivent être appliqués à toute proposition d'installer les caméras de surveillance de l'État dans les rues de nos villes. Et j'estime que la proposition - certainement ici à Vancouver - ne répondrait à aucun de ces critères.

J'y reviendrai dans un instant, mais permettez-moi d'abord de vous parler un peu de la vie privée elle-même. Le droit à la vie privée - votre droit de contrôler l'accès à votre personne et aux renseignements qui vous concernent - est un droit fondamental de la personne, un droit reconnu comme tel par les Nations Unies.

La notion de vie privée est - c'est notre Cour suprême qui l'a dit - au cour de celle de la liberté dans un État moderne. De fait, nombreux sont ceux qui croient que c'est le droit dont découlent toutes nos autres libertés - la liberté de parole, la liberté de pensée, la liberté d'association, et à peu près n'importe quelle autre liberté à laquelle vous pourriez songer.

Mais la vie privée, c'est plus qu'un droit de la personne - c'est aussi un besoin inné de la personne.

En rentrant chez vous le soir, vous fermez probablement les stores. Ce n'est pas que vous ayez quelque chose à cacher. C'est simplement que, d'instinct, vous avez besoin de votre vie privée, de ne pas être observé. Si vous êtes dans un autobus ou dans un avion et que votre voisin se met à lire par-dessus votre épaule, cela vous met probablement mal à l'aise. Ce que vous lisez, ce n'est pas un secret. Mais quand même, on se trouve à violer votre vie privée.

Si vous avez déjà eu la visite de cambrioleurs chez vous, voire dans votre voiture, vous savez que le sentiment de violation personnelle peut être plus désagréable encore que la perte de ce qu'on a pu vous voler. Ce besoin humain essentiel, ce droit fondamental, nous risquons de le laisser nous glisser entre les doigts. Et lorsque nous l'aurons perdu, il sera extrêmement difficile de le reprendre.

Nous vivons à une époque où les progrès technologiques, les phénomènes sociaux et les événements politiques menacent notre vie privée à chaque tournant. C'est pourquoi je crois que la vie privée sera la question déterminante de notre décennie. Nous sommes à la croisée des chemins : Si les choix que nous faisons permettent la destruction de la vie privée, la liberté sera emportée du même coup de balai.

Et si la vie privée est la question déterminante de la décennie, je crois que la surveillance vidéo est l'enjeu déterminant dans cette question plus vaste.

Oh, je sais, certains diront : « Quel mal y a-t-il à cela – Il y a une caméra - la belle affaire! »

De fait, d'après les journaux, à kelowna, un des chefs d'entreprise aurait déclaré que l'omniprésence des caméras, ce ne serait pas bien différent de la présence d'un agent de police à chaque coin de rue... Et que personne ne saurait s'opposer à cela.

Ma foi, il y a effectivement des endroits au monde où il y a un agent de police à chaque coin de rue. On appelle ces endroits des États policiers. Ce n'est pas ainsi que nous faisons les choses au Canada.

Nous avons le droit de vaquer à nos occupations - à nos affaires légitimes et pacifiques - sans nous sentir sous l'oil vigilant des agents de l'État. Donc, lorsque vous demandez : « Quel mal y a-t-il avec les caméras ? », je vous réponds que, chose certaine, le fait d'être surveillé change notre façon de nous comporter.

C'est bien connu. À la fin des années 20, Werner Heisenberg a démontré qu'il est impossible d'observer des particules subatomiques sans en modifier le comportement.

Depuis ce temps, les spécialistes de la physique et des comportements utilisent le terme « effet Heisenberg » pour décrire ce qu'ils savent tous - que le fait d'être observé a des effets réels. L'impact psychologique qu'amène le sentiment d'être sous observation constante - le genre de choses que nous aurons si nous laissons proliférer les caméras de surveillance - est énorme, incalculable.

Songeons à ces États policiers que j'évoquais tout à l'heure, où la population se sent toujours surveillée par une présence policière visible ou anonyme.

Une chose m'a toujours frappé lorsque j'ai voyagé dans des pays qui n'étaient pas libres - dans des États policiers - et c'est la vie sinistre et terne qu'engendre ce manque absolu de vie privée. On y sent flotter dans l'air une espèce de maussaderie.

Les gens se savent surveillés - ou, pis encore, ne savent jamais trop s'ils sont surveillés ou pas. Ils censurent leur discours et leur comportement. Ils se pressent dans la rue, la tête basse. Ils hésitent à parler aux étrangers, ou même à les regarder. Ils hésitent même à prendre contact en public avec des personnes qu'ils connaissent. Il y a très peu de vie ou de spontanéité dans la rue.

Vous avez probablement ressenti ce même phénomène vous-mêmes, à une échelle beaucoup plus réduite. Si une voiture de police s'amène à la hauteur de la vôtre sur l'autoroute ou reste juste derrière vous, ne vous sentez-vous pas automatiquement un peu paranoïaque, ne vous demandez-vous pas si vous avez fait quelque chose de travers ?

Vous devenez gauche et peut-être un peu nerveux. Vous commettez peut-être même un excès de prudence, au point d'être dangereux. En bref, votre comportement change, uniquement parce que vous sentez qu'un agent de l'État vous a à l'oil.

Une caméra de police, est-ce vraiment bien différent ?

La limitation des moyens que prend la police pour recueillir des renseignements nous concernant est fondamentale pour nos libertés au Canada. Certains feront valoir que cela complique le travail de la police. Ma foi, nous sommes tous en faveur de la prévention du crime, et voulons tous mettre la main au collet des criminels. Notre police fait un travail indispensable, et elle le fait habituellement d'excellente façon. Mais, chez nous, dans notre société libre, nous ne donnons pas à la police le pouvoir illimité de violer les droits des citoyens.

Nous ne la laissons pas constituer des dossiers sur les citoyens « juste au cas ».

Nous ne la laissons pas forcer des gens choisis au hasard à s'identifier dans la rue.

Nous ne lui permettons pas de s'introduire dans nos foyers pour des perquisitions, ou d'ouvrir notre courrier, ou de faire de l'écoute téléphonique clandestine, à moins qu'elle n'ait un mandat.

Nous disons plutôt qu'il doit toujours y avoir un équilibre - un équilibre judicieux - entre les besoins légitimes de l'application de la loi et de la sécurité, d'une part, et la nécessité de protéger nos droits et libertés et nos valeurs, d'autre part. Je vous dirai, pour ma part, que la présence de caméras de surveillance vidéo dans les rues publiques rompt inutilement et dangereusement cet équilibre.

Vous remarquerez que je fais une distinction ici entre les caméras dans les rues publiques et celles que l'on trouve dans des endroits privés accessibles au public, par exemple, dans les banques et les dépanneurs.

En premier lieu, dans les endroits comme les magasins, il y a un élément de consentement. Si vous ne voulez pas vous retrouver dans l'objectif de la caméra, vous pouvez toujours refuser d'entrer dans tel ou tel magasin. Mais si nous avons des caméras partout dans nos rues publiques, à moins de léviter plus haut qu'elles, vous ne pourrez plus refuser votre consentement sans renoncer à vous déplacer d'un endroit à l'autre.

En second lieu, ces caméras dans les endroits privés sont là à une fin très limitée de répression de la criminalité. Vous risquez peu que quiconque s'intéresse plus généralement à votre personne comme citoyen - aux gens que vous rencontrez, aux endroits où vous allez, à ce que vous faites.

Je suis sûr que certains d'entre vous diront : « Allons donc : les caméras de police dans la rue, cela nous donnera un plus grand sentiment de sécurité. » Écoutez, nous voulons tous nous sentir plus en sécurité.

Mais nous serions encore plus en sécurité si la police pouvait s'amener chez nous à son gré, juste pour voir. Elle pourrait attraper plus de criminels si elle était libre d'écouter toutes nos conversations téléphoniques, juste pour vérifier que nous ne commettons pas de crime. Nous pourrions lui permettre d'intercepter et de lire tout notre courrier et tout notre courriel, juste au cas. Ce seraient là des moyens pas mal efficaces de nous procurer plus de sécurité - mais il n'y a pas une personne sensée qui oserait le préconiser.

Nous ne violons pas nos valeurs les plus fondamentales, les choses qui sont justement ce qui donne un sens à notre société, pour la seule raison que cela nous procure un plus grand sentiment de sécurité.

Certains pourraient m'opposer que les caméras vidéo sont dans des lieux publics, pas dans des endroits privés, de sorte que la protection de la vie privée n'est pas en cause. Est-il raisonnable de s'attendre au respect de la vie privée quand on est dans une rue publique – Ma réponse, c'est que, bien sûr, il y a des degrés, des gradations de la vie privée.

Vous avez droit à une plus grande intimité chez vous que lorsque vous sortez dans la rue. Mais vous avez quand même le droit de vous attendre à une certaine vie privée lorsque vous mettez le nez dehors. Bien sûr, vous devez vous attendre d'être remarqué, en passant. Et des personnes que vous connaissez pourraient vous reconnaître. Mais ce n'est pas la même chose que d'être systématiquement surveillé et observé par quiconque, et surtout par la police.

Et si vous vous arrêtez au coin de la rue pour causer avec un ami ou prendre un appel sur votre cellulaire, vous pouvez vous attendre que des passants entendent des bribes de votre conversation.

Mais si un étranger s'arrête, s'approche de vous et se met à écouter attentivement, vous aurez probablement le sentiment - bien à raison - qu'il viole votre vie privée.

Et si un observateur installé en face ou sur le toit d'un immeuble écoutait systématiquement votre conversation à l'aide d'un microphone directionnel, vous crieriez certainement à la violation de votre vie privée. Si vous vous installez sur un banc de parc pour lire une lettre, vous devez vous attendre qu'on vous voie et qu'on voie que vous lisez.

Mais vous ne vous attendriez pas que quelqu'un vienne s'asseoir tout près pour lire par-dessus votre épaule, ou prenne un gros plan de votre lettre avec une caméra vidéo.

Supposez qu'un agent de police décide de vous emboîter le pas dans la rue toute la journée, pour vous suivre, manifestement et délibérément, dans tous vos déplacements.

Je suis sûr que vous trouveriez cela inacceptable, même s'il ne vous disait pas un mot et ne vous dérangeait pas directement. Vous estimeriez probablement que c'est du harcèlement - parce qu'il viole votre vie privée.

Quelle différence y a-t-il, donc, si vos mouvements sont tout simplement surveillés par un agent de police qui vous regarde à l'écran à mesure que vous passez du champ d'une caméra à l'autre ?

Donc, je crois que vous avez une attente raisonnable de vie privée lorsque vous êtes dans un lieu public. Qui plus est, vous avez un droit fondamental à la vie privée. C'est le problème avec ce terme que les tribunaux utilisent, « attente raisonnable de vie privée ».

Une affiche qui vous dit que vous allez être surveillé ou enregistré par des caméras vidéo dans un lieu public peut vous dire qu'il n'est pas « raisonnable » de vous attendre que votre vie privée sera respectée.

C'est pourtant ce que le service de police de vancouver a l'intention de faire. Selon son document de travail, la police veut ériger de grandes affiches disant : « vous êtes dans une zone surveillée par caméra vidéo, établie pour votre sécurité. »

Mais ces affiches, elles ne peuvent effacer par magie votre droit fondamental à la vie privée. Ce droit fondamental ne peut être éliminé par de simples affiches annonçant qu'il ne sera pas respecté ou qu'il sera violé.

Certains Vancouvérois pourraient dire : « Les caméras ne me dérangeront pas, parce que je ne vais pas dans ces quartiers-là. » Mais si elles ont le même effet - réel ou nul - que les caméras de surveillance ont eu ailleurs, ces caméras provoqueront tout au plus un déplacement de la criminalité vers des secteurs qui sont en dehors de leur champ. Cela donnera l'argument qu'il faut pour installer des caméras ailleurs également. L'extension logique, ce sera d'avoir des caméras partout.

Mais, même cela, ce n'est que le début. La surveillance vidéo, ce n'est que le premier pas. Avec le système actuel, vous êtes vu, mais au moins vous pouvez demeurer anonyme, à moins que la personne qui surveille les vidéos ne vous connaisse.

Mais ce que nous appelons la « reptation de fonction » garantit presque que, lorsqu'il y en aura suffisamment, les caméras ne tarderont pas à être reliées à une technologie biométrique qui éliminera cet anonymat.

La technologie de reconnaissance biométrique des physionomies peut analyser l'image de votre figure, la numériser, la ficher, et la relier à une base de données de la police. Elle peut servir ensuite à comparer votre figure aux images de criminels connus ou de suspects - ou tout simplement à vous identifier, à associer votre figure à votre nom et à votre adresse.

Ce n'est pas de la science fiction; cette technologie existe déjà. Elle est déjà utilisée à certains endroits. Elle l'a été au Super Bowl de l'an dernier. On l'a installée dans le rues de Tampa, en Floride, et un nombre croissant d'aéroports l'adoptent aux États-Unis.

Encore une fois, vous me direz : « Et ensuite ? Qu'ils me comparent avec qui ils veulent! Dès que la technologie leur montre que je ne suis pas quelqu'un qu'ils recherchent, c'est fini, et cela ne fait rien. »

Le problème, c'est que ces systèmes biométriques sont loin d'être à l'épreuve des erreurs. Très souvent, ils ne font pas le bon recoupement entre les personnes et leur photo. Ils recoupent aussi des personnes avec les mauvaises photos, les photos d'autres personnes - les désignant faussement comme quelqu'un que la police peut rechercher.

Vous pourriez vous retrouver soudain entouré d'agents de police, arme au poing - juste parce que la technologie s'est trompée. Et cela ne sera pas long avant que nous voyions ces systèmes de surveillance vidéo reliés à notre permis de conduire ou à notre photo de passeport. Et avant même que vous le sachiez, lorsque vous marcherez dans la rue, la police saura exactement qui vous êtes. Vous aurez perdu votre droit fondamental à l'anonymat.

Au Canada, nous ne laissons pas la police arrêter les gens au hasard et les forcer à s'identifier. On n'est même pas obligé d'avoir une pièce d'identité avec soi. Mais voilà que la technologie le fera pour elle.

Certains d'entre vous peuvent penser : « Et alors – Je n'ai rien à cacher. » Eh bien, pensez-y encore un peu.

Songez à la facilité avec laquelle la personne qui vous observe pourrait mal interpréter des choses banales et bien anodines que vous faites. Quelqu'un vous aborde dans la rue pour demander un renseignement. Vous lui dites ce qu'il veut savoir, et lui faites peut-être un brin de causette. Puis il poursuit sa route.

Ce que vous ne savez pas, c'est que, sur l'écran de la police, la biométrie l'a identifié - à tort ou à raison - comme suspect terroriste. Et, bien sûr, elle a aussi votre nom et votre adresse. Les observateurs n'ont absolument aucun moyen de savoir ce qui s'est dit; ils savent simplement que vous avez rencontré un suspect et lui avez parlé.

La prochaine chose que vous saurez - ou plutôt que vous ne saurez pas - c'est que vous vous retrouverez vous-même fiché comme suspect dans une base de données de la police.

Ou il y a un café ou un petit restaurant que vous aimez fréquenter. L'endroit est sympathique, et la nourriture vous plaît particulièrement. Mais vous n'avez aucun moyen de savoir que la police le considère comme un repaire du crime organisé. Parce que vous êtes observé et identifié comme un habitué de la place, vous risquez de vous retrouver sur une liste de suspects - sans jamais avoir la chance de vous expliquer.

On a peut-être installé des caméras parce que la prostitution est un problème dans le secteur. Une prostituée vous arrête pour vous demander de la protéger : un individu la harcèle, et elle vous demande de la raccompagner jusqu'à sa voiture garée un peu plus loin.

Sachant qu'il y a déjà eu un problème ici à Vancouver, un problème de disparition de prostituées, vous décidez de prendre sa demande au sérieux et de l'accompagner.

La caméra vous surveille, et la police sait maintenant que vous avez accompagné une prostituée. Vous ne saurez jamais rien de ces erreurs d'interprétation. Sauf qu'un jour, peut-être, lorsque vous serez candidat à un poste exigeant une autorisation de sécurité, vous ne l'aurez pas, et vous ne saurez jamais pourquoi.

Ou on vous refusera l'entrée aux États-Unis.

Avec la multiplication des caméras et l'augmentation de l'observation, nous apprendrons à éviter de faire des choses qui risqueraient d'être mal interprétées.

Et c'est là toute la question : si vous devez passer votre vie à savoir que les endroits où vous allez, les personnes que vous rencontrez, tout ce que vous faites, tout cela peut être observé, passé au peigne fin, recoupé, jugé, peut-être mal interprété et utilisé contre vous par des inconnus, par les autorités de l'État - si vous devez passer votre vie comme cela, vous n'êtes pas vraiment libre.

Donc, sur cette toile de fond, permettez-moi de revenir aux quatre critères que j'ai mentionnés : nécessité, efficacité, proportionnalité et absence de solution moins intrusive.

D'abord, la nécessité. Y a-t-il une telle flambée de criminalité ici à Vancouver qu'il faille appliquer le remède excessivement intrusif des caméras de police – De fait, non.

Les taux de criminalité à Vancouver sont en baisse, et le sont depuis des années. En 1991, il était de 202 crimes pour 1 000 habitants. En 2000, de 138 crimes.

C'est la même chose pour les taux de criminalité dans l'ensemble de la Colombie-Britannique, et dans le reste du Canada également. Donc, rien n'indique qu'il y ait quelque immense nouvelle vague de criminalité qui fait qu'il est urgent et nécessaire d'invoquer la solution des caméras de surveillance vidéo.

Mais, même si tel était le cas, cela ne ferait que nous amener au critère suivant : les caméras de surveillance vidéo dans les rues publiques sont-elles un moyen efficace de réduire la criminalité – La réponse est non. Toute la preuve disponible indique que, au mieux, elle la déplace - dès endroits où il y a des caméras vers ceux où il n'y en a pas.

Même un porte-parole du détachement de la GRC à Kelowna - où, comme vous le savez, on a déjà installé une caméra - a dit l'été dernier, selon le Sun de Vancouver, que les caméras auraient surtout pour effet de déplacer la criminalité.

Il a dit que les criminels abandonneront le centre-ville pour les quartiers résidentiels de Kelowna - et que ce sera une bonne chose parce que les propriétaires mettront moins de temps à appeler la police.

En décembre, j'ai demandé au commissaire de la GRC de me communiquer des chiffres sur le nombre d'arrestations que la caméra a permis de faire depuis son installation - ainsi que des statistiques comparant le taux global de criminalité à Kelowna pendant les mois d'utilisation de la caméra avec le taux pour la même période de l'année précédente. Je me suis fait répondre que cette information n'existe pas - pourtant, c'est censé être un projet pilote.

Aux États-Unis, le tableau n'est pas plus reluisant. À Long Island, à Newark, et à Charleston, en Virginie occidentale, on a installé des systèmes de surveillance vidéo et trouvé qu'ils n'avaient rien changé aux taux de criminalité.

À Mount Vernon, dans l'État de New York, on a utilisé un de ces systèmes pendant trois ans, avant de le démanteler parce qu'il n'avait pas donné lieu à une seule arrestation.

En juin dernier, la ville de Tampa, en Floride, a installé un système de surveillance vidéo avec système de reconnaissance biométrique des physionomies. Le système n'a jamais permis d'identifier un seul individu dans la base de photographies de la police. Mais il a fait une foule de faux appariements, y compris de personnes de sexe différent, et d'âge ou de poids très différent.

De fait, le système était si peu fiable que les services de police ont cessé de l'utiliser après quelques mois.

Le Royaume-Uni a plus de caméras de surveillance que n'importe quelle autre société au monde - plus de deux millions, et le nombre ne cesse de croître chaque année.

Et les faits parlent d'eux-mêmes.

À Glasgow, on a évalué le système de surveillance un an après son installation. À première vue, il semblait bien que le taux de criminalité avait régressé. Mais un examen plus serré des statistiques a révélé que la criminalité avait plutôt progressé de 9 %.

Londres a environ 150 000 caméras de surveillance vidéo. L'an dernier, elle avait plus de caméras que jamais auparavant. Et devinez quoi – L'an dernier, la criminalité de rue à Londres a augmenté de 40 %.

Mon Commissariat a communiqué la semaine dernière avec Jason Ditton, professeur de criminologie à la Faculté de droit de l'Université de Sheffield, en Angleterre. Le Pr Ditton est connu partout comme celui qui est peut-être le plus grand expert mondial en efficacité de la surveillance vidéo dans les rues publiques. Il l'étudie depuis 1993.

Voici ce qu'il nous a dit :

« Il n'y a pas de preuve convaincante que la télévision en circuit fermé dans les rues publiques réduit la criminalité ou la crainte de la criminalité. De fait, pour chaque étude fiable qui révèle un avantage, je peux en citer une autre qui la contredit.  Si la preuve de succès est une condition préalable de l'installation, je peux confirmer qu'il n'y a pas de telle preuve. »

Signaler un problème ou une erreur sur cette page
Erreur 1: Aucune sélection n’a été faite. Vous devez choisir au moins une réponse.
Veuillez cocher toutes les réponses pertinentes (obligatoire) :

Remarque

Date de modification :