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Déclaration commune sur le droit à la vie privée et les droits démocratiques

Le 8 décembre 2023


Principaux points à retenir

  • Le droit à la vie privée est un droit fondamental reconnu internationalement, qui est à la fois une condition préalable essentielle aux autres libertés des citoyennes et citoyens ainsi qu’un droit fondamental pour la démocratie.
  • Le droit à la vie privée est essentiel à l’épanouissement personnel et au développement des individus en tant que citoyens, ainsi qu’à l’exercice de leurs libertés sociales et politiques et à leur participation à la vie politique et sociale.
  • Le droit à la vie privée et le droit à la protection des données peuvent être considérés comme des droits distincts, mais qui se chevauchent, avec une portée et une application qui leur sont propres. Néanmoins, ils soutiennent tous deux de façon précise et complémentaire l’égalité et les valeurs démocratiquesNote de bas de page 1.
  • Par exemple, la protection de la vie privée assure la protection des croyances personnelles et des associations de partis; la protection des droits aux communications privées et à la vie pacifique et exempte de violations ou d’infractions; et la protection des choix personnels dans le recensement électoral, du libre exercice du droit de vote, ainsi que du recours au scrutin secretNote de bas de page 2.

Introduction :

  1. L’année 2023 marque le 75e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui reconnaît la protection de la vie privée comme un droit fondamental. Ainsi, la présente déclaration commune des autorités de contrôle des États souverains et de certaines organisations internationales indépendantes a pour but de : 
    1. présenter le contexte et la situation actuelle du droit fondamental à la vie privée;
    2. établir des liens avec d’autres droits démocratiques ou indépendants et d’autres libertés;
    3. présenter les conclusions de la recherche sur la vie privée en ce qui concerne le processus démocratique ou les principes constitutionnels et les engagements connexesNote de bas de page 3;
    4. établir des attentes précises pour une gestion responsable et éthique des données personnelles dans ces contextes.

Contexte et situation actuelle :

  1. Effort mondial et droit international : La Journée internationale des droits de la personne est un moment propice pour se rappeler que des instruments juridiques internationaux, comme la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, reconnaissent le droit fondamental à la vie privée depuis maintenant plus de 70 ansNote de bas de page 4.
    1. Les États membres des Nations Unies ont déclaré en 1948 que la vie privée constitue un droit de la personne inaliénable et universel.
    2. En 1966, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques a insisté sur le rôle central que joue la protection de la vie privée dans la démocratie.
  1. La protection de la vie privée en tant que fondement de la démocratie : Au cours du 20e siècle, le droit à la vie privée est apparu comme un moyen de protection contre les abus, l’oppression et les comportements despotiques.
    1. Plus précisément, les droits démocratiques pourraient être restreints par l’exercice du pouvoir en raison d’un accès à des renseignements détaillés sur l’identité, les réflexions, les croyances et les actions des citoyennes et citoyens ou des personnes contribuant à une société ou à une économie, et en contrôlant ces renseignementsNote de bas de page 5.
    2. Des acteurs oppressifs ou antidémocratiques peuvent agir de la sorte en vue d’influencer, de façonner et de contrôler les opinions, l’expression et les comportements des individus, et de faire pression sur ceux-ci, et cette prise de conscience a amené les gouvernements démocratiques à s’engager à protéger la vie privée en tant que droit fondamental et pilier de la démocratieNote de bas de page 6.
  1. La protection de la vie privée en tant que contrainte au pouvoir : Traiter la vie privée comme un droit fondamental, c’est la traiter comme les autres droits de la personne. Cela signifie que la vie privée doit être protégée conformément à la loi, et que sa protection doit être encadrée par un régime juridique solide, équitable et applicable, fondé sur les droits.
    1. La notion de vie privée en tant que droit de la personne permettant à un individu de contrôler les renseignements qui le concerne est apparue au 20e siècle et s’est répandue comme un idéal juridique à protéger, alors que la montée des régimes autoritaires et totalitaires dans le monde s’intensifiait.
    2. Compte tenu du rythme auquel les changements technologiques se produisent à l’heure actuelle, les individus qui adoptent de nouvelles technologies ont besoin de principes et de processus pour évaluer attentivement les risques pour la vie privée, l’égalité, l’équité et la liberté avant d’utiliser des appareils basés sur des données et des systèmes autonomes ou semi-autonomes (dont l’intelligence artificielle, l’apprentissage automatique, la prise de décision automatisée et le profilage)Note de bas de page 7.

Liens entre la protection de la vie privée et le processus démocratique (observations tirées de la recherche) :

  1. Liberté de croyance et d’expression politique et personnelle : Dans les processus électoraux modernes, les formes de liberté d’expression comme le débat, la mobilisation et les échanges en ligne sont devenues un élément essentiel d’une campagne électoraleNote de bas de page 8. Cet accès et cette participation plus larges peuvent contribuer à la démocratie.
    1. Cependant, étant donné l’ampleur des messages politiques et de la stratégie numérique employés pendant les élections contemporaines, l’étendue des renseignements personnels recueillis par les organisations politiques nécessite que les organismes de réglementation y prêtent une attention sérieuse et mettent en place une réglementation efficace sous le régime de la loiNote de bas de page 9.
    2. Cela tient au fait que les partis politiques, les entreprises et de nombreux autres acteurs surveillent l’opinion publique et la suivent de très prèsNote de bas de page 10. À l’ère de la surveillance numérique, un droit à la vie privée qui est significatif et applicable protège le droit d’échanger librement des idées tout au long des processus politiques, de même que le droit de voter au « scrutin secret », et favorise la confianceNote de bas de page 11.
  2. Liberté de réunion et d’association : Dans de nombreux pays, le droit à la vie privée a servi à freiner le pouvoir gouvernemental absolu. À la base, le droit à la vie privée assure un juste équilibre entre l’examen du monde politique et les pressions idéologiques.
    1. Il en est ainsi, car sans mesures de protection de la vie privée, l’autonomie philosophique et gouvernementale est sérieusement menacée. Il peut être difficile de discuter et de se consulter en toute confidentialité en l’absence de mesures de protection de la vie privée prévues par la loi. Les lois régissant la protection des données protègent contre toute influence indue et toute intrusion dans la formulation des opinions, des associations, des affiliations ou des philosophies politiquesNote de bas de page 12.
    2. Néanmoins, les plateformes numériques modernes et les courtiers en données saisissent et échangent plus de données sur les électeurs que jamais auparavant. Ces réseaux peuvent être très vulnérables à la manipulation par des tiers, notamment à l’ingérence d’États étrangers hostilesNote de bas de page 13.
  3. Droit à l’autodétermination et droit à l’autonomie : Les débats politiques et les messages partisans se font désormais sur des plateformes en ligne, et ce changement fait ressortir le lien entre les tendances démocratiques et les préoccupations en matière de protection de la vie privée à l’échelle mondialeNote de bas de page 14.
    1. Au cours des 10 dernières années, une grande partie du discours politique public est passée en ligne, souvent dans des espaces électroniques susceptibles de porter atteinte à la vie privée et relativement peu réglementésNote de bas de page 15.
    2. Les communications en ligne et dans les médias sociaux sont très ciblées – souvent en raison d’algorithmes complexes – et sont donc différentes des autres formes d’interactionNote de bas de page 16.
    3. En outre, le microciblage peut fragmenter le discours politique, ce qui peut entraîner des messages et des engagements très différents selon le public. Au bout du compte, cela peut nuire à la nature délibérative de la démocratie, rendre les débats publics incohérents, et amoindrir le débat électoral ainsi que la notion d’espace public pour trouver des solutions à des problèmes collectifs.
    4. La diffusion du contenu est instantanée, alors que l’origine du financement des messages reste obscure. Par conséquent, en l’absence de lois et de recours rigoureux et proactifs, il peut être presque impossible de réglementer le marketing politique. Les messages envahissants, la polarisation politique, le déclin de la confiance en ligne et l’ingérence dans les élections représentent tous des problèmes à multiples facettes qui peuvent résulter de l’absence de mesures de protection et de contrôle appropriéesNote de bas de page 17.
  4. Droit à des processus électoraux libres et équitables : Les tentatives visant à prédire l’allégeance politique et à extrapoler les intentions de vote des citoyennes et citoyens sont désormais très répandues. Le droit fondamental des individus d’accéder à leurs renseignements personnels, d’en demander la correction et de retirer leur consentement à l’utilisation de ceux-ci permettrait de limiter ces préjudices aux processus démocratiquesNote de bas de page 18.
    1. Les lois sur la protection des renseignements personnels devraient protéger les individus contre l’influence et la manipulation indues des organisationsNote de bas de page 19.
    2. Les lois sur la protection des renseignements personnels peuvent faire partie des contrôles juridiques visant à maintenir un processus politique juste, équitable et exempt de pratiques trompeuses. Autrement dit, elles font partie d’un cadre visant à garantir un processus démocratique transparent et équitableNote de bas de page 20.
    3. Sans garanties raisonnables de respect de l’autonomie des individus, le processus politique peut faire l’objet de manipulationsNote de bas de page 21.

Attentes particulières :

À l’occasion de la Journée internationale des droits de la personne de 2023, nous, membres du Groupe de travail sur la protection des données et des autres droits et libertés de l’Assemblée mondiale pour la protection de la vie privée, nous sommes entendus sur les mesures et les attentes suivantes :

  1. Pour les gouvernements et les législateurs :
    1. Reconnaissance – Nous demandons aux gouvernements, aux autorités indépendantes et aux organisations indépendantes du monde entier, et ce, à tous les échelons, de reconnaître la protection de la vie privée comme un droit fondamental et essentiel à la protection des autres droits démocratiques et libertés.
    2. Réglementation – Nous demandons à ces organismes de gouvernance de s’assurer que les règles concernant l’utilisation des renseignements personnels à des fins politiques sont clairement établies, et à leurs organes législatifs de s’assurer que les lois sur la protection des renseignements personnels de leur juridiction s’appliquent à la collecte et au traitement des données personnelles effectués par les partis politiques ou des organisations similaires.
    3. Examen – Nous réitérons le point de vue selon lequel dans toutes les juridictions, un organisme indépendant doit être habilité à vérifier et à faire respecter la conformité à l’égard de la protection de la vie privée par les partis politiques (ou des organismes influents similaires), notamment en examinant les plaintes, en procédant à des vérifications et en menant des investigations.
  2. Pour les partis politiques, les organismes influents ou les organisations partisanes :
    1. Normes rigoureuses et pratiques exemplaires en matière de protection de la vie privée – Nous demandons aux partis politiques et aux organisations partisanes de mettre en place des politiques de protection de la vie privée et des cadres de protection des données rigoureux. Nous attendons d’eux qu’ils respectent la vie privée des individus et qu’ils appliquent les normes internationales en la matièreNote de bas de page 22.
    2. Principes relatifs à l’équité dans le traitement de l’information – Nous demandons aux partis politiques et aux organisations partisanes de se conformer aux principes relatifs à l’équité dans le traitement de l’information – notamment des mesures de sécurité solides, des données claires pour le public et des dispositions prévoyant un droit d’accès et de correction. Respecter ces principes donnera un sens aux politiques de protection de la vie privée et permettra aux partis et aux organisations de garantir que les renseignements personnels sont traités de manière à respecter le droit à la vie privée.
  3. Pour les plateformes numériques et les courtiers en données :
    1. Consentement éclairé et valable – Compte tenu du rôle que jouent les plateformes numériques dans l’écosystème politique, où le consentement constitue un fondement pour le traitement des renseignements personnels associés à une activité politique ou électorale, nous demandons aux gestionnaires de ces plateformes d’obtenir un consentement éclairé et valable de la part des abonnés avant d’utiliser leurs renseignements personnels. Ce consentement doit être clair, opportun, éclairé et explicite.
    2. Mesures de sécurité et politiques rigoureuses en matière de données – Nous demandons aux gestionnaires de plateformes numériques de mettre en place et de maintenir des mesures de sécurité afin de s’assurer que les renseignements personnels qu’elles détiennent sont protégés contre toute utilisation, toute communication ou tout accès non autorisés ou illégaux, en particulier lorsque ces renseignements concernent les données personnelles, les allégeances politiques, l’engagement dans un parti ou l’information relative aux campagnes électorales d’individus, peu importe où ils se trouvent dans le mondeNote de bas de page 23.
    3. Transparence – Nous demandons aux gestionnaires de plateformes numériques et aux fournisseurs de services en ligne de fournir, dans la mesure du possible, des rapports réguliers et publics faisant état du moment où ils répondent aux demandes d’accès aux renseignements sur les abonnés faites par les gouvernements, et de la manière dont ils y répondentNote de bas de page 24. Les organisations devraient également faire preuve de diligence raisonnable et mener des évaluations des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) ou obtenir l’assurance par écrit du gouvernement ou des autorités publiques avant de répondre à de telles demandes.
  4. Pour les autorités de protection des données et autres organismes de réglementation :
    1. Application proactive des lois – Dans le cadre de notre rôle visant à protéger le processus électoral, nous demandons aux organismes de réglementation d’appliquer activement toutes les lois pertinentes – comme les lois sur la protection des renseignements personnels et des données, les lois électorales et autres lois – aux activités de tous les acteurs de l’écosystème sociopolitique.
    2. Réglementation globale – Nous encourageons les organismes de réglementation à continuer de favoriser la coopération entre les différentes sphères réglementaires (p. ex. élections, droits de la personne, protection de la vie privée et autres), car les attentes concernent aussi les partis politiques enregistrés, les bureaux de campagne, les courtiers en données commerciales, les entreprises d’analyse de données, les annonceurs et les plateformes de médias sociaux.
  5. Pour la société civile, les médias et les organismes de défense des droits :
    1. Dialogue et échanges ouverts – L’histoire récente démontre que des pratiques despotiques sont ancrées dans la surveillance étatique. Le fascisme, le communisme et, d’une manière générale, toutes les formes de régime autoritaire ont en commun une profonde antipathie pour la protection de la vie privée. Nous avons d’ailleurs constaté que la collecte excessive de données présente un risque réel et évident pour des idéaux comme la primauté du droit et la démocratie.
    2. Défense des droits – Il est primordial d’encourager les organisations de la société civile, les réseaux médiatiques et les groupes de citoyens à faire vigoureusement valoir l’importance capitale du droit à la vie privée – par l’entremise de leurs propres lois, politiques ou processus démocratiques – en exprimant ouvertement leurs préoccupations concernant l’utilisation abusive des données, la surveillance intrusive ou démesurée, et le recours à des pratiques de profilage numérique ou à des technologies de surveillance en général, et, plus particulièrement, dans le cadre d’élections locales et nationales.

Conclusion :

  1. Une protection efficace des données et un droit à la vie privée qui est significatif appuient particulièrement les idéaux, les processus, la participation et le débat démocratiques.
  2. Les aspects essentiels d’une démocratie ouverte et d’élections équitables comprennent la protection des croyances personnelles et des associations partisanes ou philosophiques, la protection des données dans le cadre des communications privées ou, le cas échéant, des allégeances politiques, et la protection des choix personnels dans le recensement électoral, du libre exercice du droit de vote et du recours aux scrutins secretsNote de bas de page 25.
  3. En tant que membres de la communauté mondiale de la protection des données et de la défense des droits, nous faisons valoir les conclusions et les attentes énumérées ci-dessus, qui permettront de veiller à ce que les institutions démocratiques, les plateformes numériques et le discours politique demeurent rigoureux, ouverts, équitables et accessibles pour l’ensemble de nos citoyennes et citoyens.

Signé par :

  • Philippe Dufresne, Commissaire à la protection de la vie privée du Canada et président du Groupe de travail sur la protection des données et des autres droits et libertés de l’Assemblée mondiale pour la protection de la vie privée
  • Ana Brian Nougrères, rapporteuse spéciale sur le droit à la vie privée de l’Organisation des Nations Unies
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