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Déclaration du Commissaire à la protection de la vie privée du Canada au terme d’une enquête portant sur Aylo, l’exploitant de Pornhub

Le 29 février 2024

Le Commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Philippe Dufresne, a prononcé la déclaration suivante au terme de l’enquête menée par le Commissariat à la suite d’une plainte déposée contre Aylo (anciennement MindGeek), l’entreprise qui exploite Pornhub et d’autres sites pornographiques populaires.

(Le texte prononcé fait foi)


La diffusion d’images et de vidéos intimes sans consentement est un problème de société grandissant. D’un simple clic, le contenu intime d’une personne peut être instantanément téléversé sur des plateformes où il pourra être visionné par des millions d’internautes de partout dans le monde.

La communication sans consentement d’un tel contenu intime et de nature très sensible, qu’il s’agisse d’images ou de vidéos personnelles, peut avoir des conséquences extrêmement préjudiciables pour les victimes.

C’est ce que j’appelle de la « violence liée à des images intimes », car il s’agit bel et bien de cela. Une forme d’abus où on utilise votre image intime.

Cette forme d’abus serait considérée comme un contenu préjudiciable aux termes du projet de loi C‑63 sur les préjudices en ligne qui vient d’être déposé.

Or, cet abus constitue aussi une atteinte grave à la vie privée et les organisations ont actuellement l’obligation, au titre de la loi sur la protection des renseignements personnels, de prendre des mesures raisonnables pour prévenir de telles atteintes et y remédier.

Il est en effet difficile d’imaginer une atteinte plus grave à la vie privée que la communication sans consentement d’images ou de vidéos intimes, car elle touche à certains des renseignements personnels les plus sensibles et engendre certains préjudices les plus dévastateurs pour la dignité, la réputation, la santé et le bien‑être de la victime.

Aujourd’hui, je publie les résultats de mon enquête sur l’entreprise montréalaise Aylo après avoir reçu une plainte d’une femme dont l’ex‑petit ami avait téléversé une vidéo intime et d’autres images d’elle ainsi que d’autres renseignements permettant de l’identifier sur Pornhub et d’autres sites appartenant à Aylo, et ce, sans qu’elle le sache et sans son consentement. À la suite de ces téléversements non consensuels, la plaignante a commencé à recevoir des messages non sollicités de la part d’inconnus de partout dans le monde.

À la demande de la plaignante, Aylo a d’abord pris des mesures pour retirer le contenu en question. Toutefois, les mesures de protection de la vie privée mises en place par l’entreprise n’ont pas empêché la vidéo d’être téléversée à plusieurs reprises sur les sites Web d’Aylo, où elle a pu être téléchargée et probablement diffusée à nouveau.

La plaignante a finalement eu recours à un service professionnel de retrait, ce qui a entraîné la suppression de ses images d’environ 80 sites Web, où elles avaient été republiées à plus de 700 reprises. Cependant, même après cette intervention, le matériel a continué de refaire surface en ligne.

En raison de cette perte de contrôle permanente de ses images intimes, la plaignante vivait constamment dans la peur et l’anxiété.

Notre enquête a permis de constater un manque préoccupant de mesures de protection de la vie privée compte tenu de la quantité importante de renseignements personnels de nature très sensible dont Aylo a la gestion et d’établir que l’entreprise avait enfreint la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada.

Notre principale conclusion est qu’Aylo avait l’obligation légale d’obtenir le consentement de la plaignante directement d’elle et que l’entreprise ne l’avait pas fait.

Nous avons conclu que le modèle de consentement d’Aylo, qui s’en remettait au téléverseur pour attester qu’il avait obtenu le consentement de chaque personne qui figure dans le contenu téléversé, ne représentait pas un effort raisonnable de la part d’Aylo visant à s’assurer qu’un consentement éclairé avait été obtenu de ces personnes.

Nous avons aussi conclu que lorsque les individus dont les images ont été diffusées sans leur consentement ont demandé à Aylo de retirer du contenu, ils se sont heurtés à un processus très lourd et inefficace qui est venu exacerber leur fardeau émotionnel.

J’ai formulé un certain nombre de recommandations, notamment :

  • qu’Aylo cesse immédiatement de téléverser le contenu intime produit par les utilisateurs jusqu’à ce qu’elle apporte les modifications nécessaires lui permettant de se conformer à la loi sur la protection des renseignements personnels et qu’elle prenne des mesures pour obtenir un consentement explicite et éclairé directement de chaque personne qui figure dans le contenu téléversé;
  • qu’Aylo prenne des mesures pour vérifier que le consentement a été obtenu de la part des personnes apparaissant dans le contenu et que l’âge de celles‑ci leur permet de donner leur consentement;
  • qu’Aylo supprime tout le contenu pour lequel un consentement valide n’a pas été obtenu directement de chaque personne qui y figure.

Aylo a contesté ces conclusions et a refusé de s’engager à mettre en œuvre mes recommandations.

Bien qu’Aylo ait apporté des changements à ses pratiques en matière de consentement dans les dernières années, l’entreprise n’a pas fourni au Commissariat des éléments de preuve démontrant qu’elle avait obtenu un consentement éclairé directement de toutes les personnes apparaissant dans les images et les vidéos qui sont diffusées sur ses sites Web.

Lorsque mon rapport de conclusions d’enquête était sur le point d’être achevé en mai dernier, Aylo a demandé un contrôle judiciaire à la Cour fédérale afin de contester nos conclusions et nos recommandations et de nous empêcher de terminer et de publier le rapport. Aylo n’a finalement pas obtenu gain de cause; et c’est pourquoi je suis en mesure de publier le rapport final aujourd’hui.

En conclusion, les mesures inadéquates de protection de la vie privée sur Pornhub et d’autres sites d’Aylo ont eu des conséquences dévastatrices pour la plaignante et d’autres victimes de communication d’images intimes sans consentement. Il faut remédier à cette situation dès maintenant.

Le droit à la vie privée est un droit fondamental. Dans le monde numérique d’aujourd’hui, où les renseignements sont communiqués instantanément et, dans de nombreux cas, demeurent en ligne pour toujours, les organisations doivent s’assurer qu’un consentement valide est obtenu, en particulier lorsqu’il s’agit d’un contenu aussi personnel et sensible que des images et des vidéos intimes.

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