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Comparution devant le Comité permanent des finances au sujet du projet de loi C-377, Loi modifiant la Loi de l'impôt sur le revenu (obligations applicables aux organisations ouvrières)

Le 7 novembre 2012
Ottawa (Ontario)

Déclaration prononcée par Jennifer Stoddart
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada

(Le texte prononcé fait foi)


Introduction

Monsieur le Président et Mesdames et Messieurs membres du Comité, merci de m’avoir invitée à vous parler du projet de loi C-377.

La transparence et la responsabilisation sont des éléments essentiels d’une bonne gouvernance et d’une démocratie efficace et solide.

Cependant, en ma qualité de commissaire à la protection de la vie privée du Canada, il est de mon devoir de protéger et de promouvoir le droit à la vie privée des personnes. Et l’étendue de l’obligation de divulgation publique proposée dans le projet de loi C-377 soulève de sérieuses préoccupations en matière de protection de la vie privée.

Je sais que l’honorable Russ Hiebert, le parrain du projet de loi, a déjà proposé des modifications qui viendraient atténuer certaines des dispositions portant atteinte à la vie privée. Le fait d’exempter les bénéficiaires de pensions et de prestations pour soins de santé et d’exclure les adresses domiciliaires de l’obligation de divulgation publique est un pas dans la bonne direction. Bien que je sois favorable à ces modifications, je tiens à souligner en toute déférence que le projet de loi soulève d’autres préoccupations liées à la protection de la vie privée. 

Cadre d’analyse de la protection de la vie privée

Le Commissariat se sert depuis des années d’un cadre d’analyse de la protection de la vie privée pour examiner les risques pour la vie privée que pose une initiative particulière. Ce cadre s’articule autour de quatre grandes questions :

  • Premièrement, la mesure est-elle nécessaire pour répondre à un besoin démontrable?  
  • Deuxièmement, la mesure est-elle susceptible de répondre efficacement à ce besoin?
  • Troisièmement, l’atteinte à la vie privée est-elle proportionnelle à l’avantage obtenu?
  • Et quatrièmement, y a-t-il un moyen moins envahissant de parvenir aux mêmes fins?

Le besoin de divulgation publique

Tel que je le comprends, le projet de loi C-377 a pour objet d’accroître la responsabilisation et la transparence des syndicats. À l’égard des deux premières questions, il est à noter que les organisations ouvrières du secteur public et privé obtiennent leur financement principalement par l’entremise des cotisations des membres. Le projet de loi C-377 vise à accroître la transparence et la responsabilisation des syndicats à l’égard de leurs membres en exigeant la divulgation détaillée des salaires et des autres dépenses personnelles par l’entremise d’une diffusion en ligne des données. Le projet de loi C-377, toutefois, va encore plus loin en exigeant la divulgation de ces renseignements au grand public, ce qui, à mon humble avis, n’est pas nécessaire pour atteindre l’objectif énoncé.   

La proportionnalité de la divulgation

Quant à la troisième question sur la proportionnalité, je souhaite mentionner que la rémunération d’une personne, selon un principe bien établi, constitue un renseignement personnel qui ne peut être divulgué sans le consentement de l’intéressé. Exceptionnellement, il existe des cas au Canada où des salaires précis sont divulgués publiquement lorsque ceux-ci sont financés directement par le public, comme les salaires des représentants élus, y compris les députés, et les salaires de certains hauts fonctionnaires fédéraux et provinciaux. Cependant, ces cas exceptionnels de divulgation publique ne créent pas un précédent clair pour les organisations ouvrières puisque celles-ci sont responsables avant tout envers leurs membres, et non envers le grand public.

Certains ont affirmé que les organisations ouvrières devraient avoir une plus grande responsabilité en matière de reddition de comptes auprès de la population puisqu’elles sont exonérées d’impôt en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu et puisque les cotisations syndicales sont déductibles d’impôt.

Cependant, rien n’indique que les noms, les salaires et les débours au-dessus de 5 000 dollars de tous les employés et fournisseurs des organisations ouvrières doivent être publiquement divulgués pour atteindre cet objectif plus restreint. En effet, l’importante atteinte à la vie privée des personnes concernées qui découlerait de la divulgation publique de leurs dépenses et salaires précis semble grandement disproportionnée. 

Solutions de rechange

En ce qui à trait au quatrième point sur de possibles moyens qui seraient moins envahissants pour la vie privée, je crois que limiter la portée du projet de loi de sorte que les exigences en matière de divulgation publique ne s’appliquent qu’à un groupe beaucoup plus restreint de personnes, ou n’exiger que des données agrégées permettrait d’atteindre un objectif tout aussi efficace, mais de façon plus équilibrée.

Par exemple, puisqu’ils sont sans but lucratif, les organismes de bienfaisance enregistrés au Canada doivent divulguer publiquement les renseignements sur la rémunération de haut niveau concernant les dix postes les mieux rémunérés dans leurs déclarations annuelles de renseignements. Mais même dans ce cas, les données relatives aux postes dont les salaires se situent dans une fourchette précise sont divulguées, mais non pas les noms de leurs titulaires. Un type semblable d’exigence en matière d’établissement de rapports pourrait être imposé aux organisations ouvrières.

À l’échelle internationale, des pays comme le Royaume-Uni et l’Australie ont adopté une approche restreinte similaire à l’égard de la transparence des syndicats en ce qui concerne les renseignements personnels, ne divulguant publiquement que les salaires d’un nombre restreint de hauts responsables syndicaux. Ces pays sembleraient être en mesure de pouvoir fournir un modèle de protection de la vie privée sur lequel nous pourrions nous inspirer pour les présents travaux. 

Conclusion

J’espère que mes commentaires vous aideront à trouver le juste équilibre entre la transparence et la responsabilisation, d’une part, et le droit à la vie privée des personnes, d’autre part.

C’est avec plaisir que je vais répondre à vos questions.

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