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Répercussions sur la vie privée de la section 16 du projet de loi C-45, Loi de 2012 sur l'emploi et la croissance, se rapportant à l'autorisation de voyage électronique

Mémoire présenté au Comité permanent de la citoyenneté et de l'immigration de la Chambre des communes

Le 16 novembre 2012

Monsieur David Tilson, député
Président du Comité permanent
   de la citoyenneté et de l’immigration
131, rue Queen, 6e étage
Chambre des communes
Ottawa (Ontario)  K1A 0A6

Monsieur,

Je tiens à vous remercier de m’avoir donné l’occasion de soumettre un mémoire au Comité permanent de la citoyenneté et de l’immigration concernant la section 16 du projet de loi C-45, la Loi de 2012 sur l’emploi et la croissance. Le Commissariat s’intéresse depuis longtemps à la proposition décrite à la section 16 et j’apprécie l’occasion de pouvoir faire connaître au Comité notre point de vue.

La section 16 du projet de loi C-45 modifie la Loi sur l’Immigration et la protection des réfugiés afin d’exiger que tous les ressortissants étrangers ayant l’intention de voyager au Canada obtiennent d’abord une autorisation de voyage électronique de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC).

Les amendements de la section 16 — un nouveau paragraphe 11.1(1.01) et un nouveau paragraphe 89(2) — fournissent un cadre juridique pour un programme qui permet la collecte, l’utilisation et la possible divulgation aux partenaires internationaux de très grandes quantités de renseignements personnels possiblement sensibles provenant de millions de personnes voyageant au Canada.

Le programme d’AVE

Nous croyons comprendre que l’autorisation de voyage électronique (AVE) aura une fonction semblable à celle d’un visa pour les voyageurs provenant de pays pour lesquels le Canada n’en exige pas présentement. Autrement dit, le nouveau processus d’AVE de notre pays représentera d’importantes nouvelles collectes de renseignements d’étrangers voyageant au Canada, des personnes provenant de pays exemptés de visa (par exemple, la majorité de l’Union européenne). Ces personnes devront désormais remplir un formulaire sur Internet avant d’acheter leur billet d’avion afin que la vérification des antécédents soit faite.

Le programme d’AVE est basé sur un système adopté en 2007 par les États-Unis, le système électronique d’autorisation de voyage (SEAV), conjointement avec l’Initiative relative aux voyages dans l’hémisphère occidental (IVHO). Dans les deux cas, l’AVE et le SEAV, l’objectif à long terme énoncé est de permettre la vérification d’admissibilité avec des documents d’identification sûrs et vérifiables avant l’arrivée des personnes. D’après ce que le Commissariat a pu établir, l’initiative d’AVE a été conçue pour avoir une méthode de contrôle des voyageurs harmonisée à celle des États-Unis.

Selon le gouvernement, le programme d’AVE permettra à CIC et à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de mener des vérifications d’admissibilité sur les passagers avant même qu’ils n’achètent leur billet. Le Canada et les États-Unis négocieraient d’ailleurs encore les modalités du partage de l’information dans ce contexte. Parmi les données recueillies, mentionnons le nom de famille, la date de naissance, la citoyenneté, le pays de naissance, le pays de résidence, le sexe, les adresses électroniques, les numéros de téléphone et le numéro de passeport. Il y a également des questions très délicates quant à l’exposition aux maladies transmissibles, aux troubles physique ou mental, à l’abus d’alcool ou d’autres drogues et aux antécédents criminels.

Fondement législatif du programme

Les amendements en question expliquent que « l’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander une autorisation de voyage électronique requise par règlement au moyen d’un système électronique, sauf si les règlements prévoient que la demande peut être faite par tout autre moyen. S’il détermine, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi, le système ou l’agent peut délivrer l’autorisation. » Tous les autres détails concernant le système seront précisés à des étapes ultérieures de la réglementation.

Le Commissariat croit que les changements proposés sont influencés par le Plan d’action sur la sécurité du périmètre et la compétitivité économique du Canada et des États-Unis, et par l’engagement d’harmoniser les méthodes de contrôle avec celles comprises dans le SEAV des États-Unis, mentionné ci-dessus. De façon générale, cette méthode de contrôle consiste à utiliser les renseignements du passager, bien avant le voyage, afin d’approuver ou de refuser son départ du pays étranger. 

Nous ne nous attendons pas à recevoir une évaluation des facteurs relatifs à la vie privée (EFVP) prochainement, puisque selon le Plan d’action, la mise en place complète ne se fera pas avant 2015-2016. Toutefois, cette EFVP devrait être présentée au Commissariat bien avant la mise en place du système d’AVE, conformément à l’obligation énoncée dans la Directive du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT) sur l’évaluation des facteurs relatifs à la vie privée.    

Besoin d’une plus grande transparence et d’un examen approfondi

Une des préoccupations du Commissariat à propos du programme d’AVE est le manque de transparence et la mesure dans laquelle les détails du programme ont été insérés dans la réglementation. Des questions fondamentales à propos du programme d’AVE, notamment ce que seront les éléments de données fournis à CIC, comment cette information peut être utilisée et combien de temps elle sera conservée, ne se retrouvent pas dans l’acte législatif et nous croyons qu’elles devraient l’être. Il est évident que ces enjeux ont été en bonne partie façonnés à huis clos, notamment par des accords avec les  États-Unis plutôt que dans le cadre d’un débat public et ouvert.

En vertu du programme d’AVE, les renseignements personnels des gens voyageant au Canada — que ce soit pour faire du tourisme, visiter la famille ou par affaires — pourront être conservés pendant 15 ans. Le Commissariat croit que le gouvernement du Canada devrait user davantage de transparence quant à l’utilisation qu’il compte faire des renseignements personnels recueillis des personnes voyageant au Canada; il devrait s’assurer que les nouvelles demandes d’accroître l’utilisation de ces renseignements personnels soient examinées en profondeur et que les programmes existants soient évalués régulièrement afin de déterminer s’ils sont nécessaires et efficaces. 

Il existe également un manque de clarté quant à l’interaction du programme d’AVE avec d’autres programmes existants ou planifiés concernant l’échange des renseignements personnels aux contrôles frontaliers et de l’immigration. Par exemple, du point de vue de la surveillance, il serait important pour les membres du Comité de comprendre précisément comment le nouveau Programme d’information préalable sur les voyageurs et du dossier de passager (IPV/DP) de l’ASFC, le Programme de protection des passagers de Sécurité publique Canada et le tout récent programme du Canada et des États-Unis sur les entrées et les sorties fonctionneraient avec le système d’AVE. Aussi, il serait important de connaître l’étendue de l’échange des renseignements entre les organismes fédéraux et les raisons pour lesquelles ces renseignements peuvent être utilisés.

Dans notre mémoire présenté au gouvernement au mois de juin 2011, dans le cadre de la consultation sur la déclaration Par-delà la frontière, nous avions insisté sur le fait que la transparence et l’ouverture sont essentielles en tout temps, que les normes juridiques les plus élevées s’imposent et que la mise en place de programmes de formation spécialisée sur la protection de la vie privée devrait être envisagée pour les agents canadiens qui mettent en application les nouvelles mesures de contrôle. Ce sont des recommandations qui valent aussi pour la nouvelle initiative d’AVE. Des contrôles précis, des restrictions d’utilisation et une surveillance stricte du partage de renseignements élargi prévu entre le Canada et les États-Unis dans le cadre du Plan d’action sur la sécurité du périmètresemblent absents de l’information présentement disponible aux parlementaires et à la population canadienne.

Conclusion

Le Commissariat aimerait donc réitérer les recommandations suivantes relativement au programme d’AVE. Premièrement, une EFVP du programme d’AVE devrait être faite bien avant la mise en application. Deuxièmement, puisque la transparence envers le public est un principe essentiel pour un programme d’une telle envergure, nous recommandons qu’il serait préférable de codifier dans la loi les éléments de données, l’utilisation qui en sera faite et les délais de conservation prévus dans ce programme. Troisièmement, la clarté en ce qui concerne l’interaction entre l’AVE et les nombreux autres programmes de surveillance des voyageurs au Canada, l’étendue du partage des informations entre ceux-ci et les buts de l’utilisation de l’information qui en sera faite sont tous des éléments cruciaux qui seront nécessaires pour assurer une surveillance adéquate par le Parlement. Finalement, CIC devrait mettre en place une formation proactive et des politiques relativement à la protection de la vie privée pour des contrôles adéquats sur l’accès au nouveau système d’AVE et son utilisation.

Merci de l’occasion de faire connaître notre point de vue.

Veuillez agréer, Monsieur, l’expression de ma considération distinguée,

La commissaire à la protection
de la vie privée du Canada,

(La version originale a été signée par)

Jennifer Stoddart

cc : Julie Lalande Prud'homme, greffière du Comité (CIMM)

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