Comparution devant le Comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense au sujet du projet de loi C-51, Loi antiterroriste de 2015
Le 23 avril 2015
Ottawa (Ontario)
Déclaration prononcée par Daniel Therrien
Commissaire à la protection de la vie privée du Canada
(Le texte prononcé fait foi)
Monsieur le Président, membres du Comité, bon après-midi. Merci de m’avoir invité à discuter du projet de loi C-51, la Loi antiterroriste de 2015. Je vous ai déjà fait parvenir un mémoire où j’explique mes préoccupations concernant ce projet de loi, et j’en ai aussi fait part au Comité permanent de la sécurité publique et nationale de la Chambre des communes.
À titre de commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je crois que la partie 1 du projet de loi C-51, qui concerne la communication de renseignements entre tous les ministères et 17 organismes particuliers aux fins de la sécurité nationale, est excessive et n’est pas équilibrée. Même si je conviens que la communication de renseignements que prévoit le projet de loi pourrait dans certains cas permettre de déceler de nouvelles menaces, je crois que le prix en matière de vie privée qu’on propose de nous faire payer pour arriver à cette fin est beaucoup trop élevé. Ce projet de loi pourrait éventuellement entraîner la collecte et la communication de quantités excessives de renseignements personnels sur de simples citoyens respectueux de la loi. En outre, cela ouvre la porte au profilage éventuel et à l’analyse de données massives sur l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. Bref, les moyens choisis pour atteindre ce but sont excessifs.
Le projet de loi C-51 pourrait très bien protéger à la fois la sécurité et la vie privée. Pour proposer une approche équilibrée, le projet de loi devrait prévoir des seuils raisonnables et un mécanisme de surveillance efficace. Tout d’abord, en ce qui concerne les seuils raisonnables, je recommande de modifier le projet de loi de manière à ce que seule l’information « nécessaire » soit communiquée, au lieu du seuil proposé de la simple « pertinence ». Ce seuil de la « pertinence » a pour effet d’exposer les renseignements personnels d’honnêtes citoyens. Tant le concept de proportionnalité que celui d’équilibre militent en faveur de ce changement, afin d’éviter une communication trop généralisée des renseignements.
Selon certains, cette recommandation forcerait les ministères à devenir des spécialistes de la sécurité nationale, afin d’évaluer de manière appropriée si l’information est bien nécessaire avant sa communication. Il existe une solution simple à ce problème : modifier le projet de loi de manière à obliger les ministères qui reçoivent l’information à réaliser une telle évaluation dès sa réception et régulièrement par la suite, et à détruire immédiatement toute information qui n’est pas nécessaire aux fins de leur mandat. Remplacer le seuil de la « pertinence » par celui de la « nécessité » permettrait également de combler l’écart avec le seuil d’un des principaux organismes destinataires, le SCRS, qui doit, selon la loi le régissant, recueillir l’information « strictement nécessaire ». Si le seuil de la nécessité suffit au SCRS, pourquoi n’en serait-il pas de même pour tous les autres organismes destinataires?
Deuxièmement, en ce qui a trait à la surveillance, je suis préoccupé par le fait que, sur les 17 organismes destinataires, 14 ne font l’objet d’aucune surveillance indépendante efficace. En outre, alors que les organismes de sécurité nationale pourront échanger des renseignements beaucoup plus facilement, les organismes d’examen ou de surveillance actuels, y compris le Commissariat, sont restreints par des limites de compétence et des mesures leur interdisant de communiquer de l’information entre eux.
Même si le Commissariat aura pour responsabilité d’examiner la mise en application des dispositions de ce projet de loi, je souhaite réitérer qu’en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, ses activités de contrôle d’application se limiteront aux questions touchant les renseignements personnels. Aucun organisme de surveillance n’a l’autorité de surveiller la légalité ou l’efficacité des activités de 14 des 17 organismes destinataires.
En outre, en raison de l’étendue des communications de renseignements prévues dans ce projet de loi, et compte tenu de mes autres responsabilités en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, l’examen effectué par le Commissariat pourrait ne pas être pleinement efficace s’il s’effectue avec le niveau de ressources dont nous disposons actuellement. Je vais modifier nos priorités en conséquence. Cependant, si j’utilise mon pouvoir d’examen pour me consacrer à des activités associées au projet de loi C-51, je devrai probablement délaisser l’examen d’autres programmes et initiatives d’importance, autant du secteur public que privé.
Voici quelques observations finales. Le ministre de la Sécurité publique a indiqué que le projet de loi C-51 prévoit plusieurs mesures de protection de la vie privée. Même si je conviens que ce projet de loi en renferme quelques-unes, je crois qu’elles sont nettement insuffisantes pour permettre l’adoption d’une approche équilibrée. Par exemple, les évaluations des facteurs relatifs à la vie privée sont un outil utile d’atténuation des risques. Cependant, à titre d’instrument de politique, elles n’ont pas le caractère contraignant d’une loi. En outre, en ce qui a trait à la tenue de dossiers et la période de rétention des renseignements communiqués en vertu de C-51, on a mentionné que ces détails seront définis dans un règlement. Il s’agit là d’une mesure de protection faible, puisque rien n’empêche l’adoption de très longues périodes de rétention.
Selon moi, le Parlement a un rôle important à jouer pour faire en sorte que si les pouvoirs de communication de renseignements sont augmentés de manière importante, comme c’est le cas avec le projet de loi C-51, des mesures de protection des renseignements correspondantes soient également adoptées en tant que normes légales applicables, et non en tant que principes généraux contenus dans le préambule à la partie 1. C’est pourquoi, en plus du relèvement des seuils prévus, je recommande que des ententes écrites concernant la communication de renseignements soient exigées, et que des dossiers sur leur application soient dûment tenus, afin que les organismes de surveillance comme le Commissariat puissent réaliser des examens pertinents. Je recommande aussi que la loi exige que les renseignements communiqués en vertu de C-51 ne soient pas conservés par les institutions destinataires plus longtemps que nécessaire.
Je serai maintenant heureux de répondre à vos questions.
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