Sélection de la langue

Recherche

Lettre de suivi au Comité permanent de la sécurité publique et nationale (SECU) au sujet du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale

Le 19 mars 2018, le commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, a transmis la lettre ci-dessous au Comité permanent de la sécurité publique et nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale. La lettre apporte des précisions à une autre lettre envoyée au comité le 5 mars 2018. Les deux lettres font suite à la comparution au sujet du projet de loi C-59 devant le comité en décembre 2017.

Le projet de loi C-59 a été proposé par le gouvernement du Canada à la suite de consultations publiques sur le cadre de sécurité national. En décembre 2016, le commissaire Therrien et ses homologues provinciaux et territoriaux ont déposé un mémoire officiel en réponse à ces consultations.

Le 19 mars 2018

L’honorable John McKay, député
Président, Comité permanent de la sécurité publique et nationale
Chambre des communes
Ottawa (Ontario) K1A 0A6

Monsieur le Président,

Je vous écris aujourd’hui pour faire un bref suivi du mémoire que nous avons présenté le 5 mars 2018 au sujet du projet de loi C-59, Loi concernant des questions de sécurité nationale.

Le mémoire comportait plusieurs recommandations visant à protéger la vie privée des citoyens respectueux de la loi qui ne posent aucune menace pour la sécurité nationale. Selon l’une des plus importantes, soit la recommandation no 5iii), une institution gouvernementale qui reçoit initialement des renseignements personnels nécessaires à l’exercice de son mandat devrait être tenue d’éliminer ces renseignements si, après analyse, elle conclue que la personne visée n’est pas une menace pour la sécurité nationale. Le principe sous-tendant cette recommandation est le suivant : bien qu’il puisse être justifiable que les institutions gouvernementales se communiquent de l’information au sujet d’un grand nombre de personnes – dont la plupart sont des citoyens respectueux de la loi – dans le but de détecter de nouvelles menaces, cette information ne devrait plus être conservée dans les dossiers des organismes de sécurité nationale si l’on conclut que les personnes visées ne constituent pas une menace.

Comme nous l’avons mentionné dans notre mémoire du 5 mars, la vérification du Programme de ciblage des voyageurs fondé sur des scénarios de l’Agence des services frontaliers du Canada, effectuée par le Commissariat, constitue un exemple récent à l’appui de mes propos. Ma recommandation va aussi dans le sens de la décision rendue par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire des dossiers passagers mettant en cause le Canada, sur laquelle elle a statué en juillet 2017Note de bas de page 1. Dans cette affaire, la plus haute cour de l’Union européenne a jugé que la conservation de renseignements portant sur des personnes qui ne posent aucun risque pour la sécurité nationale ne respectait pas les exigences juridiques de nécessité et de proportionnalité et qu’elle allait à l’encontre des droits fondamentaux.

Il y a donc selon moi de solides raisons d’ordre politique et juridique à l’appui de la recommandation no 5iii), mais je comprends que les organismes de sécurité nationale puissent considérer qu’il s’agit d’une suggestion novatrice qui, selon elles, serait imprudente. C’est pourquoi j’aimerais apporter les précisions qui suivent.

D’abord, la recommandation no 5iii) donnerait lieu à un régime comparable à celui que le gouvernement propose en vertu de la partie 4 du projet de loi C-59. Comme vous le savez, les pouvoirs que confèrent au SCRS les dispositions portant sur les « ensembles de données » prévues à la partie 4 sont considérablement élargis et comprennent le pouvoir de recueillir les renseignements de personnes qui ne sont pas une menace à la sécurité nationale, mais à une condition importante. En effet, les ensembles de données canadiens ne peuvent être conservés que si cela est susceptible d’aider le SCRS dans l’exercice de son mandat.

Ensuite, ma recommandation s’appuie sur un autre précèdent puisque le principe qui selon moi devrait s’appliquer aux institutions destinataires, en vertu de la partie 5 du projet de loi C-59, s’applique déjà aux organisations du secteur privé en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), qui est la loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada. Il s’agit du principe 4.5 énoncé à l’annexe 1 de la LPRPDE, selon lequel « on ne doit conserver les renseignements personnels qu’aussi longtemps que nécessaire pour la réalisation des fins déterminées » pour lesquelles les renseignements ont été recueillis. Dans le contexte de la partie 5 du projet de loi C-59, cela signifierait que les renseignements personnels recueillis par une institution destinataire dans le but de détecter de nouvelles menaces ne devraient plus être conservés une fois que les fins ont été réalisées (sauf, bien entendu, lorsque les personnes sont considérées comme une menace pour la sécurité nationale) ou, si l’on applique le modèle de la partie 4, sauf si cela est nécessaire à la réalisation du mandat de l’institution destinataire.

Donc, je suggère pour la recommandation no 5iii) le libellé suivant, qui serait ajouté en tant que nouvelle disposition de la Loi sur la communication d’information ayant trait à la sécurité du Canada :

Une institution fédérale qui reçoit des renseignements personnels en vertu de la présente Loi ne doit les conserver qu’aussi longtemps que raisonnablement nécessaire pour la réalisation des fins pour lesquelles ils ont été reçus, ou pour d’autres fins nécessaires à l’exercice de ses pouvoirs ou des responsabilités qui lui incombent en vertu d’une loi fédérale ou de toute autre autorité légitime, à l’égard d’activités portant atteinte à la sécurité du Canada.

Une modification de cette nature atténuerait le risque que des personnes considérées comme ne constituant pas une menace continuent d’être soupçonnées. Et j’estime que cette modification est nécessaire pour protéger adéquatement le droit à la vie privée des citoyens respectueux de la loi.

Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de clarifier mon point de vue. J’espère que les précisions apportées ici seront utiles aux membres du Comité dans le cadre de leur examen et de leur étude, article par article, du projet de loi C-59.

Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma considération distinguée.

Le commissaire ,

(La version originale a été signée par)

Daniel Therrien

p.j.

c.c.
Jean-Marie David
Greffier du comité

Date de modification :