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Les conclusions du commissaire à la protection de la vie privée sur la surveillance vidéo par la GRC à Kelowna

Ottawa, le 4 octobre 2001 - Le commissaire à la protection de la vie privée du Canada, George Radwanski, a rendu publique aujourd'hui la lettre de conclusions ci-après, qu'il a adressée à David Loukidelis, commissaire à l'information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique, au terme d'une enquête sur les activités de surveillance vidéo de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) à Kelowna C.-B.

Monsieur le commissaire,

La présente constitue mes conclusions au sujet de votre plainte fondée sur la Loi sur la protection des renseignements personnels. Dans une lettre en date du 25 juin 2001, vous avez formulé une plainte concernant l'installation actuelle et proposée des caméras de surveillance de la Gendarmerie royale du Canada dans le centre-ville de Kelowna.

Vous m'avez demandé de faire enquête sur la légalité de cette surveillance aux termes de la Loi sur la protection des renseignements personnels et sur sa conformité au droit à la vie privée des Canadiens et Canadiennes.

Les questions que vous avez soulevées dans votre plainte sont d'importance nationale. Les forces policières municipales à l'échelle du Canada semblent manifester, à l'égard du recours aux caméras de surveillance vidéo, un intérêt qui croît rapidement. Les questions de protection de la vie privée en jeu sont très graves, et mon bureau a déjà reçu, à ce sujet, de nombreuses demandes de renseignements de la part du public et des médias.

Les activités des forces policières municipales ne relèvent pas normalement de ma compétence de commissaire à la protection de la vie privée du Canada. C'est uniquement parce que la GRC agit à titre de force policière municipale à Kelowna que j'ai compétence dans ce cas particulier. Quoi qu'il en soit, étant donné que la question de la surveillance vidéo présente des répercussions d'une suprême importance sur le droit à la vie privée de tous les Canadiens et Canadiennes, j'espère que mes conclusions en l'occurrence seront, de façon générale, utiles aux autorités municipales et policières et à l'opinion publique.

Au cours de notre enquête, nous avons établi que, le 22 février 2001, après consultation avec les fonctionnaires municipaux de Kelowna et des représentants du milieu des affaires du centre-ville, la GRC a installé une caméra dans le secteur de Bennett Clock sur l'avenue Queensway à Kelowna. Le secteur sous surveillance est indiqué par une affiche signalant que « Ce secteur de la ville de Kelowna peut faire l'objet d'une surveillance vidéo aux fins du maintien de l'ordre public. Pour d'autres renseignements, contactez la GRC de Kelowna (250) 762-3300. Les renseignements sont recueillis conformément à la Loi sur la protection des renseignements personnels du Canada  ». Onze avis semblables sont affichés dans le secteur sous surveillance.

Nous avons également établi qu'au moins cinq autres emplacements ont été retenus pour l'installation de caméras de surveillance, dès que les fonds seront disponibles, dans le cadre d'un plan visant à couvrir éventuellement toutes les rues et avenues du centre-ville de Kelowna.

Même si la ville et la Downtown Kelowna Association ont financé l'achat de la caméra déjà installée, la GRC est la seule responsable de son fonctionnement et de son entretien. Au moment de la plainte, la caméra enregistrait uniquement des images, de façon continue, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Les bandes vidéo étaient remplacées quotidiennement et conservées pendant six mois, à moins d'être utilisées à des fins administratives, auquel cas toute bande ainsi utilisée doit être conservée pour au moins deux ans. La ville de Kelowna a embauché quatre assistants chefs de veille affectés au détachement de la GRC pour surveiller les caméras et exécuter d'autres tâches pour la GRC. Ces assistants consignaient la date et l'heure de remplacement des bandes vidéo ainsi que tout incident inhabituel observé. Après leur enregistrement, les bandes ne sont pas examinées, à moins que ce ne soit nécessaire, par exemple, lorsqu'un incident est subséquemment signalé à la police.

La Loi sur la protection des renseignements personnels définit les renseignements personnels de la façon suivante : « Les renseignements, quels que soient leur forme et leur support, concernant un individu identifiable. ». Théoriquement, toute personne se trouvant dans le champ visuel d'une caméra de surveillance vidéo pourrait être identifiée. L'image obtenue révèle de l'information au sujet de la personne (comme l'endroit où elle se trouve et son comportement). Lorsque l'image est enregistrée, il y a collecte de renseignements personnels au sens de la Loi.

L'article 4 de la Loi sur la protection des renseignements personnels précise que « [l]es seuls renseignements personnels que peut recueillir une institution fédérale sont ceux qui ont un lien direct avec ses programmes ou ses activités ». Selon le principe de la Loi, une institution ne peut recueillir que la quantité minimale de renseignements personnels nécessaires pour les fins prévues. Pour chaque renseignement personnel recueilli, il doit exister un besoin démontrable sur le plan de l'exécution du programme ou de l'activité.

Il ne fait aucun doute que la prévention de la criminalité peut être considérée comme un programme ou une activité de la GRC à titre de force policière de Kelowna. Mais, même en faisant abstraction pour l'instant des graves questions concernant l'efficacité de l'effet dissuasif d'une surveillance vidéo dans des endroits publics, on ne peut conclure que la surveillance et l'enregistrement des activités quotidiennes d'un grand nombre de citoyens respectueux de la loi constituent une partie légitime d'un tel programme ou activité.

Ce genre de surveillance et d'enregistrement systématiques ne concorde d'aucune façon avec l'obligation de ne recueillir que la quantité minimale d'information personnelle requise pour les fins prévues. De plus, le mandat large de prévention de la criminalité ne donne manifestement pas aux autorités policières un pouvoir illimité de violer les droits des Canadiens et Canadiennes. Les autorités ne peuvent, par exemple, compiler des dossiers détaillés sur les citoyens « au cas où ». Elles ne peuvent forcer aléatoirement des personnes dans la rue à s'identifier. Elles ne peuvent pénétrer dans les foyers et y faire des perquisitions à leur gré sans obtenir l'autorisation préalable appropriée.

À mon avis, il est également manifeste que les forces policières ne peuvent invoquer la prévention de la criminalité pour justifier la surveillance et l'enregistrement sur film d'activités d'un nombre important de membres du grand public.

Dans le cours normal de l'application de la loi, la cause (motif raisonnable) constitue une condition de base préalable à la collecte et à la conservation de renseignements personnels. Dans le cas d'une surveillance vidéo, l'information est enregistrée sans égard à l'existence d'une cause précise. En enregistrant continuellement, par opposition à l'enregistrement de certains incidents associés aux activités d'application des lois, la GRC recueille inutilement de l'information sur des milliers de citoyens innocents qui se livrent à des activités n'ayant rien à voir avec le mandat de la GRC.

Par conséquent, je conclus que la surveillance vidéo à Kelowna qui fait l'objet de cette plainte contrevient à la Loi sur la protection des renseignements personnels. La plainte est donc bien fondée.

Je signale en passant que ma conclusion selon laquelle ce genre de surveillance vidéo est inacceptable du point de vue du droit à la vie privée, qui rejoint la position du commissaire à l'information et à la protection de la vie privée du Québec, qui a mené une enquête au sujet d'une activité de surveillance semblable dans la ville de Sherbrooke en 1992. Le commissaire du Québec a conclu que la ville de Sherbrooke avait violé la législation sur la protection de la vie privée du Québec en recueillant systématiquement des renseignements nominatifs sur bande vidéo alors que ceux-ci n'étaient pas nécessaires à l'exécution de ses tâches ou de la mise en ouvre d'un programme relevant de son autorité.

J'estime aussi que mon raisonnement concorde avec celui de la Cour suprême du Canada, qui a déclaré dans l'arrêt R. c. Wong de 1990 : « permettre la surveillance magnétoscopique illimitée par des agents de l'État, ce serait diminuer d'une manière importante le degré de vie privée auquel nous pouvons raisonnablement nous attendre dans une société libre. nous devons toujours rester conscients du fait que les moyens modernes de surveillance électronique, s'ils ne sont pas contrôlés, sont susceptibles de supprimer toute vie privée. »

Dans une lettre du 10 septembre 2001, le commissaire Zaccardelli de la GRC m'a fait savoir que l'enregistrement vidéo continu de la caméra de surveillance a pris fin le 28 août, mais il évoque explicitement la possibilité que le détachement de la GRC de Kelowna puisse décider de reprendre l'enregistrement continu, de façon aléatoire, à une date ultérieure. Il déclare qu'à l'heure actuelle, le secteur sous surveillance ne sera enregistré que si une violation de la loi est décelée.

Par conséquent, l'utilisation actuelle de la caméra de surveillance est conforme à la lettre de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui ne s'applique qu'aux renseignements enregistrés, « quels que soient leur forme et leur support ». Néanmoins, pour des motifs que j'exposerai en détail plus loin, je ne suis pas convaincu que le maintien de la surveillance par caméra vidéo sans enregistrement continu respecte suffisamment l'esprit de la Loi sur la protection des renseignements personnels ni des droits à la vie privée des Canadiens et Canadiennes. À mon avis, seul le retrait pur et simple de la caméra satisferait à cette norme.

J'expliquerai mon raisonnement dans mon analyse des questions plus vastes de la protection de la vie privée que soulève la propension croissante à recourir à la surveillance vidéo dans les endroits publics. Compte tenu de l'importance collossale de ces questions au regard du droit fondamental à la protection de la vie privée de tous les Canadiens et Canadiennes, j'estime qu'il est non seulement approprié, mais nécessaire que je profite de l'occasion pour me pencher sur ces questions.

Permettez-moi de dire tout d'abord que je suis bien conscient que, dans la foulée des événements tragiques du 11 septembre, il y a probablement une importante perception publique qu'une prolifération de surveillance vidéo dans nos rues et nos parcs nous mettrait en quelque sorte davantage à l'abri des attaques terroristes.

Mais, même si la ville de New York avait eu assez de caméras de surveillance pour se transformer en un gigantesque studio de télévision, cela n'aurait pas empêché les terroristes de lancer des avions contre le World Trade Center. De fait, il est difficile, de façon générale, de croire qu'une surveillance vidéo massive des rues et des autres endroits publics d'utilisation générale puisse constituer une défense efficace ou pratique contre le terrorisme.

D'ailleurs, l'enthousiasme grandissant pour les caméras de surveillance vidéo jusqu'ici a mis l'accent non pas sur les applications anti-terroristes, mais plutôt sur leur efficacité alléguée contre les crimes plus communs. C'est dans ce contexte, qui a donné lieu à la plainte qui nous occupe, que je souhaite examiner le bien-fondé de cette surveillance.

J'ai souvent affirmé ma conviction que la protection de la vie privée sera la question déterminante de cette nouvelle décennie. Abstraction faite des nouvelles pressions que risque de créer la situation actuelle, c'est parce qu'une foule de nouveaux défis technologiques pour la protection des renseignements personnels nous forceront à faire des choix qui détermineront le genre de société canadienne que nous aurons, non pas pour nous-mêmes, mais pour nos enfants et nos petits-enfants. Et si la vie privée de façon générale doit être la question déterminante, peu d'enjeux liés à la vie privée pourront mieux façonner cette définition que les choix que nous ferons au sujet de la surveillance vidéo.

Si nous ne pouvons pas nous promener ou circuler dans la rue sans être systématiquement surveillés par les caméras de l'État, nos vies et notre société seront irrémédiablement altérées. L'impact psychologique d'avoir à vivre avec le sentiment d'être constamment observé doit sûrement être énorme, voire incalculable. Nous devrons nous adapter, et nous nous adapterons sûrement. Mais nous aurons perdu quelque chose de profondément précieux - le droit à l'anonymat et à la vie privée dans notre quotidien -lequel sera à jamais perdu.

L'idée d'Orwell selon laquelle un « grand frère nous surveille » ne sera plus un apocryphe mais une réalité quotidienne concrète et permanente.

Il s'agit d'un choix et d'un sacrifice que nous sommes invités à faire pour nous protéger de la criminalité. Mais cette invitation renferme plusieurs aspects que j'estime profondément perfides.

Tout d'abord, aucune preuve concluante n'établit que la surveillance vidéo des endroits publics constitue, en réalité, un moyen de dissuasion efficace. Il se peut qu'elle réduise la criminalité dans les endroits où les caméras sont placées, mais uniquement pour la déplacer vers des lieux où il n'y en a pas. Cela signifierait qu'une véritable dissuasion ne pourrait être obtenue que si des caméras de surveillance policière se trouvaient partout, même dans les quartiers résidentiels à l'extérieur de nos foyers.

Cependant, même dans ce cas, la dissuasion totale semble invraisemblable. Faisant abstraction de l'invraisemblance conceptuelle d'une société véritablement libre de toute criminalité uniquement par la simple dissémination de caméras, la preuve empirique contredit une telle assertion. En Grande-Bretagne, où il existe maintenant plus d'un million de caméras de surveillance, la criminalité avec violence a, de fait, augmenté.

Cela n'est pas vraiment étonnant. Dans cette époque de restrictions budgétaires du secteur public, l'utilisation de caméras vidéo tend à remplacer ou à réduire plutôt qu'à compléter la présence des agents de police dans les rues. Alors qu'un agent de police physiquement présent peut intervenir pour arrêter un crime en cours, sauver la victime et mettre le suspect en état d'arrestation, les possibilités d'action d'un agent de police qui surveille un écran à plusieurs milles de distance sont beaucoup moins évidentes. Dans le cas des crimes les plus graves, l'enregistrement pourrait, en définitive, contribuer à l'arrestation et à la condamnation du contrevenant. Mais cela n'aide guère à prévenir la criminalité ou à protéger la victime, plus particulièrement étant donné que la plupart des contrevenants n'envisagent pas véritablement la possibilité d'être pris.

La deuxième lacune de l'incitation à sacrifier notre vie privée aux caméras de surveillance vient du fait que la nécessité de consentir un sacrifice aussi grand n'a pas été établie. Les taux de criminalité au Canada n'augmentent pas, ils diminuent.

La troisième objection, et peut-être la plus importante, est la suivante : même si une surveillance vidéo constituait, en réalité, un moyen dissuasif efficace de la criminalité, les méthodes que nous choisissons pour combattre la criminalité doivent être soupesées par rapport aux autres valeurs et objectifs sociaux importants.

Dans les États policiers, il peut y avoir peu ou pas de criminalité, mais il y a également peu ou pas de liberté. Ici au Canada, nous modérons les activités d'application de la loi en fonction du genre de société que nous choisissons. Nous ne tolérons pas d'énormes violations des droits de la personne, peu importe la mesure dans laquelle elles peuvent s'avérer utiles pour prévenir ou résoudre les crimes.

Nous faisons ces choix parce que, même si nous voulons une société sûre, nous reconnaissons que notre sécurité et notre qualité de vie ne se limitent pas à l'absence de criminalité. À mon avis, il faut adopter cette même perspective lorsqu'on examine la question des caméras de surveillance dans nos rues et places publiques. Quel prix sommes-nous disposés à payer pour protéger notre droit fondamental à la vie privée?

Je connais l'argument selon lequel, quoi qu'il en soit, il n'existe aucune attente raisonnable de respect de la vie privée dans un endroit public. Il ne serait certainement pas raisonnable de s'attendre à la protection de la vie privée lorsque des affiches préviennent que vous faites l'objet d'une surveillance vidéo.

Même si l'« attente raisonnable de respect de la vie privée » constitue une expression juridique précise, qu'y a-t-il de plus important que le droit à la vie privée. On ne peut pas supprimer ce droit fondamental de la personne uniquement en informant les gens qu'il est violé.

Cet aspect est particulièrement vrai dans le cas des espaces publics, comme les rues. Les gens peuvent avoir le choix de refuser d'entrer dans un magasin si les affiches préviennent qu'ils font l'objet d'une surveillance vidéo. Cependant, en cas de prolifération des caméras de surveillance dans nos lieux publics, à moins de léviter au-dessus de ces caméras, les gens n'auront aucune façon de refuser leur consentement et de se rendre tout de même d'un endroit à l'autre.

À mon avis, le droit à la protection de la vie privée existe à divers niveaux. Manifestement, notre droit à la vie privée est plus important dans nos foyers que dans les endroits publics, où nous sommes inévitablement susceptibles d'être remarqués et observés par ceux avec qui nous partageons l'espace. Cependant, dans ces endroits publics, nous conservons le droit de nous « perdre dans la foule », de vaquer à nos occupations sans être systématiquement observés ou surveillés, plus particulièrement par l'État.

Je partage le point de vue de la Cour suprême du Canada, qui affirme, dans l'arrêt Wong, qu'« il existe une différence importante entre le risque que nos activités soient observées par d'autres personnes et le risque que des agents de l'État, sans autorisation préalable, enregistrent de façon permanente ces activités sur bande magnétoscopique, une distinction qui, dans certaines circonstances, peut avoir des conséquences en matière constitutionnelle. Refuser de reconnaître cette distinction, c'est refuser de voir que la menace à la vie privée inhérente à la vie en société, dans laquelle nous sommes soumis à l'observation ordinaire d'autrui, n'est rien en comparaison avec la menace que représente pour la vie privée le fait de permettre à l'État de procéder à un enregistrement électronique permanent de nos propos ou de nos activités. »

En dernier lieu, je voudrais revenir à la question de la distinction entre la surveillance vidéo et l'enregistrement sur film des résultats de cette surveillance. Alors que la Cour suprême, dans l'arrêt Wong, insiste beaucoup sur les risques inhérents de la création d'un dossier électronique permanent, plus particulièrement compte tenu des progrès technologiques depuis 1990, j'estime que la surveillance vidéo dans les endroits publics peut présenter une menace sérieuse au droit à la protection de la vie privée, même en l'absence d'enregistrement.

La Loi sur la protection des renseignements personnels, contrairement à la plus récente Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (LPRPDE), qui traite du secteur privé, limite ses dispositions aux renseignements personnels recueillis « quels que soient leur forme et leur support ». Par conséquent, l'observation de personnes dans la rue par des caméras vidéo sans enregistrement systématique ne contreviendrait pas à la lettre de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Toutefois, je ne suis pas convaincu que cela respecterait entièrement l'esprit de la loi, ni que cela serait suffisamment respectueux du droit à la vie privée des Canadiens et Canadiennes.

Je comprends que c'est précisément à cause de la possibilité de ce genre de surveillance vidéo que la mention « quels que soient leur forme et leur support » a été omise de la LPRPDE.

Ma première inquiétude vient du fait que c'est la présence même des caméras vidéo, qu'elles enregistrent ou non à tout moment donné, qui crée le sentiment destructeur d'intimité d'être observé.

De plus, quelles que soient les garanties données par les autorités publiques, les gens ne peuvent jamais être certains que les caméras n'enregistrent pas en réalité. La nature et l'objectif fondamentaux d'une caméra consistent à enregistrer; à moins que des surveillants de la vie privée ne soient continuellement en place, rien ne permet au public de savoir si et quand un enregistrement a lieu.

Ma deuxième inquiétude est que si l'on permet la prolifération des caméras de surveillance vidéo dans les endroits publics, il est presque certain que la reptation fonctionnelle mènera inexorablement à l'utilisation de caméras à technologie biométrique qui permettent d'identifier les personnes en appariant leurs caractéristiques faciales aux photos figurant dans les dossiers.

Il ne s'agit pas d'une quelconque fantaisie futuriste puisque certaines villes américaines ont déjà effectué des tentatives semblables, à la grande consternation du public. Lorsqu'un nombre suffisant de caméras seront en place, il y aura lieu de s'attendre que cette méthode soit initialement proposée par une force policière canadienne comme façon efficace de protéger le public des criminels connus, comme ce fut fait dans un stade aux États-Unis au cours de la dernière partie du Super Bowl. À partir de ce point, peu s'en faudra avant que ne soient utilisées les sources de photos facilement accessibles de la population en général comme les dossiers de demandes de permis de conduire, permettant ainsi l'identification en tout temps de toute personne dans un endroit public surveillé ou la surveillance des allées et venues et activités de toute personne donnée pendant qu'elle se déplace d'un endroit à l'autre.

Il est inutile que je commente en détail les effets sur le droit à la vie privée ou le genre de transformation qui en résulterait au sein de la société canadienne. Une telle surveillance/identification serait aussi néfaste qu'inutile. Le seul fait qu'une chose soit technologiquement possible ne la rend pas socialement justifiable ou acceptable. Cependant, la seule façon efficace de la prévenir consiste tout d'abord à empêcher la prolifération des caméras de surveillance.

Cela ne signifie pas qu'il n'existe pas certaines circonstances particulières où il convient que les forces policières utilisent les caméras de surveillance dans les endroits publics pour maintenir la sécurité et l'ordre.

Par exemple, la surveillance vidéo sans enregistrement continu apparaît justifiable dans des endroits particulièrement vulnérables susceptibles de faire l'objet d'une certaine forme d'attaque terroriste ou autre, au point de justifier des mesures de sécurité exceptionnelles.

De même, il est concevable que, dans certains endroits particuliers, une menace exceptionnelle à la sécurité du public, conjuguée à d'autres circonstances qui ont rendu impraticables les services policiers classiques, justifierait l'installation de caméras de surveillance.

Il peut également y avoir des circonstances spéciales dans lesquelles, pour mener une enquête au sujet d'un crime particulier, il pourrait être approprié que la police installe temporairement une caméra vidéo dans un endroit donné et enregistre des images de toute personne qui fréquente cet endroit. Par exemple, si une série d'agressions sexuelles se produisaient dans un parc donné, la police pourrait souhaiter filmer les personnes qui utilisent ce parc et montrer les bandes aux victimes afin qu'elles tentent d'identifier les agresseurs. De même, il existe des circonstances où la surveillance vidéo policière de certains individus soupçonnés d'une infraction donnée constitue une technique d'enquête acceptable.

Cependant, toutes ces circonstances diffèrent fondamentalement de l'acceptation générale de la surveillance vidéo de la population. Selon la perspective du droit à la vie privée, la surveillance vidéo par l'État ne peut être justifiée que lorsqu'il peut être établi que le maintien de la paix ne pourrait être réalisé par des méthodes qui ne portent pas atteinte à la vie privée. Il faut dans chaque cas une preuve solide pour justifier l'utilisation généralisée d'une surveillance vidéo plutôt que des autres méthodes traditionnelles d'application de la loi. La commodité, l'efficience ou l'économie de coûts ne devraient jamais être invoquées à ce titre. La surveillance vidéo des Canadiens et Canadiennes par l'État devrait constituer l'exception, et non la norme.

Je me suis attardé longuement sur les questions plus vastes soulevées par cette plainte parce que je crois profondément que les choix que nos Canadiens et Canadiennes effectueront au sujet de la surveillance vidéo par les agents de l'État contribueront grandement à déterminer le genre de société que nous établirons pour nous-mêmes.

Le droit à la vie privée est un droit fondamental de la personne, reconnu à ce titre par les Nations Unies. Le niveau et la qualité de la vie privée dans notre pays risquent de subir une atteinte paralysante et irréparable si nous nous permettons d'être assujettis à une surveillance constante et implacable par la lentille des caméras vidéo de plus en plus nombreuses contrôlées par la police et les autres agents de l'État.

Même si la plupart des forces policières ne relèvent pas du domaine de compétence de la Loi sur la protection des renseignements personnels et même si cette Loi elle-même n'offre pas une protection suffisante contre la surveillance vidéo sans enregistrement continu, j'espère de tout cour que ces observations contribueront à informer l'opinion publique qui, en définitive, constitue toujours notre plus forte défense contre les violations irréfléchies de nos droits.

Cela met fin à mon enquête relative à votre plainte. La Gendarmerie royale du Canada a été informée des résultats. Si vous avez des questions, n'hésitez pas à communiquer avec moi au 1 800 282-1376.

Je vous pris d'agréer, Monsieur le commissaire, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Le commissaire à la protection de
la vie privée du Canada

George Radwanski

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