Sélection de la langue

Recherche

La surveillance des employés au travail

Résumé de conclusions d'enquêtes en vertu de la LPRPDE no 2004-279

(Article 3 et paragraphe 5(3))

Plainte

Un ancien employé d'un fournisseur de services Internet estime que l'entreprise a enfreint la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques (la Loi) en installant des caméras Web pour surveiller le rendement des employés.

Résumé de l’enquête

En 2003, l'entreprise installe des caméras Web à deux endroits dans l'un de ses bureaux : l'une est orientée vers le personnel des ventes et du marketing et l'autre vers les employés du soutien technique.

Les caméras sont fixes, sans panoramique horizontal ni fonction de zoom. Elles sont réglées à basse résolution et n'enregistrent pas. Les personnes apparaissant à l'écran sont très nettes, c'est-à-dire qu'il est facile de les reconnaître et de savoir ce qu'elles font.

Les membres du personnel des ventes et du marketing travaillent dans une même pièce, derrière des panneaux amovibles. La caméra est orientée vers la zone commune de la pièce et non sur une personne en particulier. Il est possible de voir une personne qui se déplace de son poste de travail vers la zone commune et les personnes qui quittent la pièce ou y entrent. L'organisation physique de la zone de travail du personnel de soutien technique est similaire mais la pièce est plus grande et peut accueillir un maximum de 19 employés. Il n'y a pas de zone commune et la caméra permet de voir à peu près la moitié des employés (à supposer que les effectifs soient complets). Le contenu sonore des deux caméras peut également être surveillé.

Les deux caméras fonctionnent continuellement mais seuls les responsables des ventes et du soutien technique y ont accès lorsqu'ils sont absents. Les images que ceux-ci peuvent voir à l'écran sont petites et deviennent de plus en plus floues à mesure qu'elles sont agrandies.

L'entreprise avait deux raisons d'installer ces caméras : veiller à la sécurité et surveiller la productivité des employés. Pour ce qui est de la sécurité, l'entreprise a expliqué que des employés avaient à plusieurs reprises déclenché accidentellement le système d'alarme. Lorsque le système d'alarme est activé, l'entreprise de sécurité téléphone au responsable qui peut, grâce à la caméra Web, confirmer que le site est occupé par un employé de l'entreprise. Il n'y a pas de caméras à l'entrée principale et l'accès à l'immeuble est contrôlé par un système de verrouillage sans clé.

L'entreprise a déclaré qu'elle avait reçu quelques allégations de vol et de harcèlement. Comme elle a une politique de tolérance zéro en matière de harcèlement, elle a recommandé à ses employés de s'adresser à leur gestionnaire s'ils ont des problèmes de ce genre. L'entreprise a également prévenu les nouveaux employés que le vol est un motif de renvoi immédiat. Depuis l'installation des caméras, plus une seule allégation de vol ou d'harcèlement n'a été soumise à son intention.

Quant à la surveillance du rendement des employés, l'entreprise évalue la productivité des employés du service d'assistance au moyen de quatre critères : le temps qu'ils passent au téléphone, leur capacité à traiter rapidement les appels, le nombre d'appels traités et la qualité des conseils fournis. Les employés des ventes et du marketing sont également évalués en fonction du nombre de ventes effectuées.

Le système téléphonique enregistre automatiquement trois de ces mesures à chaque poste : la durée de la conversation téléphonique, le nombre d'appels traités et le délai moyen de réponse aux appels de chaque employé. Il enregistre également le type d'appel (les clients appuient sur un numéro du clavier qui identifie la nature de la demande). Les responsables du service d'assistance ont également la possibilité de surveiller les conversations téléphoniques à des fins de formation et/ou d'assurance de la qualité (quatrième mesure du rendement) en écoutant les appels des clients.

Outre l'aide qu'ils apportent aux clients par téléphone, les employés du soutien technique répondent également aux messages transmis par courriel. Les messages qu'ils adressent aux clients sont surveillés aux fins de l'assurance de la qualité tandis que le courriel en provenance de l'extérieur est filtré pour éviter les messages à contenu inadmissible ou les messages commerciaux non sollicités.

L'entreprise utilise plusieurs autres moyens pour surveiller l'assiduité des employés et leur emploi du temps au travail. L'accès des employés au bureau est surveillé au moyen de cartes magnétiques. L'usage d'Internet est surveillé et fait l'objet d'un compte rendu à la direction. L'entreprise emploie un dispositif de contrôle de circulation pour limiter l'accès des employés aux pages et aux applications Web externes. Les employés ne peuvent pas utiliser les appareils téléphoniques de leurs postes de travail pour des appels personnels : ils doivent se servir des appareils qui se trouvent dans la zone de repos et la zone de réception.

L'entreprise procède à des évaluations du rendement deux fois par an et elle a pour politique de prendre des mesures disciplinaires progressives. Elle fait savoir à tous les nouveaux employés que les infractions graves, comme l'agression physique, le vol ou l'insubordination peuvent être des motifs de renvoi.

Dans la zone du service d'assistance, les employés sont en poste 16 heures par jour, du lundi au vendredi, et 10 heures par jour les fins de semaine. Ceux qui travaillent de jour durant la semaine sont surveillés directement par leurs gestionnaires respectifs. L'entreprise a remarqué que la productivité des employés du service d'assistance (mesurée selon les critères expliqués plus haut) diminue lorsqu'il n'y a pas de gestionnaire sur place. C'est donc, entre autres, pour cette raison qu'elle a installé une caméra Web. Elle dit avoir essayé d'autres méthodes moins effractives, par exemple en demandant aux gestionnaires de faire des visites impromptues durant les fins de semaine. Ces visites ont permis de confirmer que les employés qui travaillent en dehors des heures ouvrables prennent ensemble des périodes de repos plus fréquentes et plus longues, laissant les postes de travail inoccupés. Lorsque la direction de l'entreprise a soulevé la question de la productivité avec les employés en question, elle n'a pas obtenu de réponses satisfaisantes. L'entreprise est d'avis que le problème était en partie attribuable aux caractéristiques de la population d'où sont tirés les employés du centre d'appel : il s'agit de jeunes employés occupant à titre provisoire des postes de premier échelon. Il n'était pas question, pour des raisons financières, d'engager plus de personnel de surveillance. L'entreprise estime que la fourniture de services Internet est un domaine très compétitif aux marges très étroites et qu'il lui faut choisir le moyen le plus efficace pour gérer le rendement de ses employés. Selon elle, l'installation des caméras a permis de régler le problème de productivité insuffisante des employés travaillant en dehors des heures ouvrables.

Les deux caméras sont accompagnées d'un avis informant les employés qu'ils peuvent être surveillés par ce moyen. Peu après leur installation (et après la plainte adressée au Commissariat), l'entreprise a fait circuler un énoncé de politique sur la protection de la vie privée en milieu de travail dans lequel elle expliquait la présence des caméras. Chaque employé a signé une attestation confirmant qu'il avait lu et compris cette politique. Les employés du soutien technique, qui n'aimaient guère l'idée d'être continuellement observés, ont été autorisés à travailler derrière des panneaux amovibles.

Conclusions

rendues le 26 juillet 2004

Application  : L'article 3 de la Loi précise que son objet est de fixer les règles régissant la collecte, l'utilisation et la communication de renseignements personnels d'une manière qui tienne compte du droit des personnes à la vie privée à l'égard des renseignements personnels qui les concernent et du besoin des organisations de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances. Le paragraphe 5(3) stipule que l'organisation ne peut recueillir, utiliser ou communiquer des renseignements personnels qu'à des fins qu'une personne raisonnable estimerait acceptables dans les circonstances.

Voici les réflexions de la commissaire adjointe à la protection de la vie privée :

  • Pour déterminer si l'entreprise a trouvé un bon équilibre entre le droit à la vie privée des personnes et la nécessité de recueillir, d'utiliser ou de communiquer des renseignements personnels, la commissaire adjointe a examiné la validité des fins poursuivies par l'entreprise selon ses dires.
  • L'entreprise a fait valoir qu'elle avait besoin de caméras pour veiller à la sécurité et pour gérer la productivité des employés. Pour ce qui est de la sécurité, l'accès sans autorisation à l'immeuble ne semblait pas être le problème principal puisque aucune caméra n'a été installée à l'entrée ou à la sortie du bureau. Il fallait, selon l'entreprise, qu'un responsable puisse garantir au service de sécurité que des employés se trouvent sur place au cas où le système d'alarme serait accidentellement déclenché. La commissaire adjointe est cependant d'avis qu'il existe une méthode beaucoup moins envahissante pour régler ce problème, à savoir de demander aux employés d'appeler eux-mêmes le service de sécurité ou de demander à celui-ci de les appeler.
  • Selon l'entreprise, le vol et le harcèlement étaient parmi les problèmes de sécurité que les caméras permettraient de régler. Cependant, la commissaire adjointe estime que l'entreprise n'a pas produit d'éléments de preuve attestant que ces problèmes étaient si importants et systématiques qu'ils justifiaient l'introduction d'une mesure aussi envahissante. À cet égard, elle estime qu'une personne raisonnable ne jugerait probablement pas que la sécurité est une fin justifiée dans les circonstances.
  • Quant au rendement des employés, la commissaire adjointe remarque que l'entreprise a mis en ouvre divers moyens pour mesurer la productivité de ses employés : un système téléphonique automatisé, la surveillance des appels téléphoniques, la surveillance du courriel, des mesures disciplinaires progressives, des évaluations du rendement et des énoncés de politique. Mais, en dépit de cet arsenal de mesures, l'entreprise estimait qu'elle avait besoin de caméras Web pour surveiller continuellement les comportements et attitudes des employés pendant les heures au cours desquelles les cadres étaient absents. Elle a invoqué des raisons financières pour ne pas engager d'autres cadres, mais la commissaire adjointe fait remarquer que l'entreprise ne semblait pas ouverte à d'autres possibilités, par exemple celle de donner à certains membres du personnel un rôle de surveillance ou de modifier les horaires de travail des gestionnaires pour couvrir les heures non ouvrables. Ces mesures pourraient être rentables et seraient moins envahissantes.
  • La commissaire adjointe s'inquiète également du fait que ce mode de surveillance met tous les employés dans le même panier et conteste les raisons pour lesquelles il faudrait assujettir l'employé qui excelle à tous égards ou celui qui n'est en rien soupçonné de vol ou de harcèlement à la même surveillance que l'employé au rendement médiocre ou celui que l'on soupçonne de vol ou de harcèlement. Elle estime qu'il ne convient pas de porter atteinte à la vie privée de tous les employés sans égard à leur degré de productivité, à leurs attitudes ou à leur comportement, sous prétexte que quelques employés posent des problèmes à la direction. Elle considère donc qu'il est peu probable qu'une personne raisonnable estimerait que la productivité des employés est une raison suffisante de recourir à un mode de surveillance audiovisuel (voir le paragraphe 5(3)).
  • La commissaire adjointe tient compte du fait que l'entreprise a informé les employés des raisons de l'installation des caméras et qu'elle a proposé aux employés du soutien technique de mettre leurs bureaux de travail à l'écart du champ visuel de la caméra mais elle estime qu'il ne s'agit pas là de considérations importantes au vu du fait que la mesure proprement dite contrevient à l'esprit de la Loi.
  • La commissaire adjointe est d'avis que l'objet réel de l'installation des caméras semble bien être la dissuasion : il s'agit de dissuader les employés de se rendre coupables de vol ou de harcèlement, de simuler, de critiquer ou d'adopter un comportement qui ne plairait pas à l'employeur. Elle rappelle que les mesures envahissantes peuvent toujours servir ces fins à peu de frais. La Loi exige cependant que le coût de la dignité humaine fasse partie intégrante de l'équation. La surveillance continuelle et sans discrimination des employés, ajoute-t-elle, traduit un manque de confiance et fait peser le soupçon sur tous les employés alors que les problèmes peuvent être attribuables à quelques personnes ou à un mode de gestion éventuellement contestable. Elle estime que ce genre de mise en observation omniprésente peut entraver les comportements indésirables mais qu'il contraint également les employés à s'interroger sur la moindre de leurs décisions et le moindre de leurs commentaires. Le respect de la vision de l'entreprise finit par coûter trop cher en termes d'autonomie et de liberté individuelles.
  • La commissaire adjointe conclut que, en utilisant des caméras Web de la manière décrite dans la plainte, l'entreprise ne reconnaît pas fondamentalement le droit à la vie privée de ses employés, tel qu'il est garanti par l'article 3 de la Loi, et que la balance penche trop manifestement du côté des besoins de l'organisation. Elle ne peut donc appuyer l'emploi de cette mesure pour surveiller le travail des employés car, si elle le faisait, elle trahirait l'objet de la Loi.

Par conséquent, elle a conclu que la plainte était fondée.

Autres considérations

La commissaire adjointe recommande que l'entreprise enlève les caméras Web de la zone des services de ventes et marketing et de la zone des services de soutien technique et qu'elle confirme l'avoir fait par écrit dans les 45 jours suivant la réception des conclusions.

Date de modification :