Enquête sur le refus d’accès aux renseignements personnels d’un enfant par Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada
Plainte en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels (la Loi)
Le 26 juin 2024
Description
Le plaignant a présenté une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP) à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC) afin d’obtenir une copie de la demande de passeport de son enfant mineur, qui avait été soumise par son ex-conjointe. Pour appuyer sa demande, il a soumis une ordonnance judiciaire l’autorisant à recevoir des renseignements concernant ses enfants directement auprès de tiers. IRCC a refusé de communiquer les renseignements de l’enfant sans le consentement de celui-ci. Nous avons constaté que le plaignant n’avait pas un droit d’accès aux renseignements de son enfant en vertu de la Loi, car il n’a pas présenté la demande au nom de son enfant, une exigence prévue par le Règlement.
Points à retenir
- L’alinéa 10(a) du Règlement sur la protection des renseignements personnels n’accorde pas automatiquement à un parent le droit d’obtenir les renseignements personnels de son enfant.
- Ce droit peut être exercé si la demande satisfait à trois exigences prévues par le Règlement, l’une d’elle étant que la demande doit être soumise au nom de l’enfant, servir à faire progresser ses propres objectifs et être dans son intérêt supérieur.
- Exiger le consentement d’un enfant mineur, en considération de son âge et de son degré de maturité, est une façon de prévenir la communication non autorisée de ses renseignements personnels.
Rapport de conclusions
Vue d’ensemble
Au moyen d’une ordonnance rendue par un tribunal en 2019, le plaignant a reçu, dans le cadre d’un litige portant sur une séparation et la garde d’enfants, l’autorisation d’obtenir des renseignements concernant ses enfants directement auprès de tiers, notamment des enseignants, des conseillers, des professionnels de la santé et des fournisseurs de soins tiers. Une autre ordonnance judiciaire rendue en 2021 a accordé aux enfants le droit d’être représentés par un avocat afin qu’ils puissent être entendus et que leurs opinions soient prises en compte dans le cadre des instances qui opposaient leurs parents. Cette ordonnance n’a pas modifié le droit du plaignant d’obtenir des renseignements auprès de tiers.
S’appuyant sur l’ordonnance judiciaire de 2019, le plaignant a présenté, le 19 août 2021, une demande d’accès à l’information et de protection des renseignements personnels (AIPRP) à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté CanadaNote de bas de page 1 (IRCC) en vue d’obtenir une copie de la demande de passeport de l’un de ses enfants, notamment pour prouver qu’il n’avait pas signé le document. Il affirmait que les deux parents auraient dû la signer. IRCC a rejeté sa demande.
IRCC a d’abord répondu au plaignant que les renseignements d’une personne mineure peuvent être communiqués si le demandeur fournit une ordonnance judiciaire valide indiquant qu’il est autorisé à les recevoir (ou encore avec le consentement des deux parents). Cependant, dans sa réponse subséquente au plaignant le 8 novembre 2022, IRCC a expliqué qu’il exige généralement le consentement de la personne concernée avant de communiquer ses renseignements et, dans ce cas-ci, IRCC l’a jugé nécessaire compte tenu de l’âge de l’enfant. IRCC a indiqué que l’enfant pouvait présenter sa propre demande d’AIPRP ou fournir un formulaire de consentement signé pour autoriser IRCC à communiquer ses renseignements au plaignant.
Le plaignant affirme qu’IRCC a indûment refusé de lui donner accès aux renseignements demandés, malgré le fait qu’une ordonnance d’une Cour suprême provinciale lui a accordé un droit d’accès à tous les documents concernant son enfant.
Il s’agit donc de savoir si le plaignant disposait d’un droit d’accès aux renseignements personnels de son enfant en vertu de l’article 10 du Règlement sur la protection des renseignements personnels (le Règlement). L’article prévoit trois façons d’accéder aux renseignements personnels d’une autre personne. Plus précisément, l’alinéa 10a) autorise l’exercice des droits prévus par la Loi sur la protection des renseignements personnels (la Loi) et le Règlement au nom d’un mineur ou d’un incapable, notamment le droit d’accès prévu au paragraphe 12(1) de la LoiNote de bas de page 2.
Après avoir examiné les faits ainsi que les observations présentées par les deux parties, le Commissariat a établi que le plaignant n’avait pas le droit d’accéder aux renseignements personnels de son enfant, puisque la demande ne satisfaisait pas à l’une des exigences prévues à l’alinéa 10a) du Règlement, selon laquelle elle doit être faite au nom de l’enfant. Par conséquent, le Commissariat conclut que la plainte est non fondée.
Analyse
- Le plaignant soutient qu’il avait le droit d’obtenir les renseignements demandés parce que l’ordonnance de la Cour suprême provinciale lui avait accordé l’accès aux renseignements personnels de son enfant sans que ce dernier doive donner son consentement.
- Dans ses observations présentées au Commissariat, IRCC a fait valoir que le plaignant n’avait pas démontré qu’il disposait d’un droit d’accès aux renseignements demandés et a souligné que la communication de ceux-ci sans le consentement de l’enfant contreviendrait à l’article 8 de la Loi. Selon IRCC, même si l’ordonnance judiciaire initiale permettait au plaignant d’avoir accès aux renseignements concernant ses enfants en général, celle-ci ne prévalait pas sur les exigences de la Loi. IRCC a également expliqué qu’une ordonnance judiciaire plus récente avait accordé à l’enfant du plaignant le droit d’être représenté par un avocat afin que son opinion soit prise en compte dans le cadre des procédures judiciaires de ses parents.
- Pour établir si le plaignant avait le droit d’accéder aux renseignements personnels de son enfant au titre de la Loi, le Commissariat a examiné les exigences de l’alinéa 10a) du Règlement et la capacité de l’enfant à prendre des décisions.
Exigences de l’alinéa 10a) du Règlement
- Bien qu’une Cour suprême provinciale ait déterminé que le plaignant avait le droit d’obtenir des renseignements concernant son enfant auprès de tiers, le Commissariat souligne que les exigences de la Loi doivent être satisfaites pour qu’un individu puisse avoir accès aux renseignements détenus par IRCC. Selon la Cour fédéraleNote de bas de page 3, l’alinéa 10a) du Règlement accorde « un droit d’accès aux renseignements d’une autre personne – sans que le consentement de cette autre personne soit nécessaire – pour une raison particulière ». Plus précisément, il autorise l’exercice du droit d’accès en leur nom si le demandeur satisfait à trois exigences.
- D’abord, la demande doit concerner « un mineur ou un incapable ». Dans le cas qui nous occupe, le Commissariat est convaincu que l’enfant du plaignant était un mineurNote de bas de page 4 lorsque le plaignant a présenté la demande d’AIPRP à IRCC, et que la demande satisfait donc à cette exigence.
- Ensuite, le demandeur doit être autorisé en vertu d’une loi fédérale ou provinciale à gérer les affaires du mineur. Le plaignant a démontré qu’en vertu d’une ordonnance judiciaire rendue par une Cour suprême provinciale, il était légalement autorisé à gérer les affaires de son enfant.
- Enfin, le demandeur doit exercer le droit d’accès au nom du mineur. L’expression « au nom d’un mineur » n’est pas définie dans le Règlement ni dans la Loi. Par conséquent, pour établir comment l’exigence doit être appliquée, le Commissariat a examiné des décisions rendues au titre de cadres juridiques différents, mais dont le contexte était semblable. Par exemple, le Commissariat à l’information et à la protection de la vie privée de la Colombie-Britannique a interprété les termes « agir pour » ou « agir au nom de » comme signifiant [traduction] « agir dans l’intérêt de l’enfant, pour faire progresser les propres objectifs de l’enfant et dans l’intérêt supérieur de l’enfantNote de bas de page 5 ».
- Dans les observations qu’il a présentées au Commissariat ainsi que dans ses échanges avec IRCC, le plaignant a admis qu’il a demandé les renseignements en question dans son propre intérêt, à savoir pour ouvrir une enquête sur ce qu’il a qualifié de [traduction] « demande de passeport frauduleuse » présentée par son ex-conjointe, soutenant qu’il n’avait pas donné son consentement. Par conséquent, il n’a fourni aucune observation à IRCC ni au Commissariat pour étayer le fait qu’il faisait la demande au nom de son enfant.
- Compte tenu de ce qui précède, le Commissariat estime que le demandeur n’a pas satisfait à cette exigence. Par conséquent, le Commissariat conclut que l’alinéa 10a) du Règlement ne s’appliquait pas dans le cas présent et que le plaignant n’avait pas le droit d’accéder aux renseignements personnels de son enfant.
Capacité de l’enfant à prendre des décisions
- Dans ses observations présentées au Commissariat, IRCC a indiqué qu’il avait demandé au plaignant de lui fournir un document où l’enfant consentait par écrit à ce que ses renseignements personnels soient communiqués et qu’il avait expliqué au plaignant que la communication des renseignements demandés sans le consentement de l’enfant contreviendrait à l’article 8 de la Loi. Pour appuyer sa position, IRCC a souligné que l’enfant avait la capacité décisionnelle de donner son consentement dans le contexte de la demande d’AIPRP, puisque, d’une part, il était âgé de plus de 16 ans au moment de la demande et, d’autre part, il avait demandé à être représenté par un avocat dans le cadre des procédures judiciaires de ses parents. Le Commissariat a également pris en compte ce qui précède lors de son analyse.
- Bien que le libellé de l’article 10 du Règlement laisse entendre un lien entre les mineurs et l’incapacité, le droit canadien reconnaît de plus en plus la capacité des mineurs à prendre des décisions lorsqu’ils ont la capacité, l’intelligence et la maturité nécessaires.
- Par exemple, pour décrire la doctrine de common law d’un « mineur mature » dans le contexte médical, la Cour suprême a dit ce qui suit :
« [L]a common law a plus récemment délaissé le postulat que tous les mineurs sont dépourvus de capacité décisionnelle pour leur reconnaître une autonomie décisionnelle correspondant au développement de leur intelligence et de leur compréhensionNote de bas de page 6. »
- Il convient de noter que le droit canadien reconnaît la capacité des mineurs matures à prendre des décisions sur des questions qui revêtent une grande importance, notamment leur propre traitement médical. Par conséquent, le Commissariat estime que les mineurs qui ont la capacité et le désir de le faire devraient aussi pouvoir participer à la prise de décisions concernant l’accès à leurs renseignements personnels.
- De plus, IRCC a souligné que la Cour suprême provinciale s’est appuyée sur l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant (CDE) des Nations UniesNote de bas de page 7 lorsqu’elle a ordonné que l’enfant du plaignant soit représenté par un conseiller juridique indépendant dans le cadre des procédures judiciaires de ses parents.
- L’évolution de la capacité décisionnelle de l’enfant est largement reconnue dans la CDE, et, bien que celle-ci ne soit pas directement contraignante au CanadaNote de bas de page 8, la Cour suprême l’a utilisée à maintes reprises pour interpréter les diverses lois nationales qui touchent les enfants.
- Le Commissariat fait valoir que la Loi et le Règlement devraient être interprétés d’une manière qui est conforme à la CDE pour que les enfants puissent être entendus dans les affaires judiciaires ou administratives qui les concernent et, plus précisément, que leur opinion soit dûment prise en considération selon leur âge et leur degré de maturité.
- À la lumière de ce qui précède, le Commissariat accepte les arguments d’IRCC et conclut que, étant donné la probabilité que l’enfant ait eu la capacité de donner son consentement en raison de son âge et de son désir d’être représenté par un avocat dans le cadre des procédures de ses parents, le consentement de l’enfant du plaignant était nécessaire pour qu’IRCC puisse communiquer ses renseignements personnels à son père.
Conclusion
- L’alinéa 10a) du Règlement n’autorise pas automatiquement un parent à accéder aux renseignements personnels de son enfant. Il s’agit d’un mécanisme limité permettant à une personne d’exercer un droit d’accès aux renseignements personnels d’un autre individu dans des circonstances précises.
- Après avoir analysé les faits et les observations présentés par les deux parties, le Commissariat a été en mesure d’établir que la demande en l’espèce n’avait pas été faite au nom de l’enfant. Il conclut donc qu’il était raisonnable qu’IRCC exige le consentement de l’enfant pour traiter la demande d’AIPRP et, par conséquent, qu’il refuse de donner au plaignant l’accès aux renseignements sans ce consentement. Plus précisément, puisque la demande ne satisfaisait pas aux exigences de l’article 10 du Règlement et que les exceptions prévues au paragraphe 8(2) de la Loi ne s’y appliquaient pas, la seule solution qui s’offrait à IRCC était d’exiger le consentement de l’enfant.
- Étant donné qu’IRCC n’a pas reçu de document lui confirmant que l’enfant consentait à la communication de ses renseignements personnels et que le Commissariat a établi que la demande ne satisfaisait pas à l’une des trois exigences prévues à l’alinéa 10a) du Règlement, le Commissariat estime que le plaignant n’avait pas le droit d’accéder aux renseignements personnels de son enfant. De plus, le Commissariat fait valoir que la décision d’IRCC de refuser au plaignant l’accès aux renseignements personnels de son enfant permettait d’assurer le respect de la vie privée de l’enfant et était conforme avec l’esprit de la Loi. Par conséquent, le Commissariat conclut que la plainte est non fondée.
- Le Commissariat souligne que l’enfant du plaignant avait atteint l’âge de la majorité au moment de la rédaction du présent rapport. Par conséquent, bien que le Commissariat ait examiné la question du refus en fonction des faits au moment où le plaignant a présenté sa demande d’AIPRP, l’analyse actuelle ne s’appliquerait plus, puisque la demande ne répond plus à une autre des exigences de l’alinéa 10a) du Règlement maintenant que l’enfant a atteint l’âge de la majorité.
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